Donel Jack'sman à Genève
«Ah non! Je déteste les wokes!»

Donel Jack'sman sera à Genève le jeudi 28 avril pour présenter son tout nouveau show au public Suisse. Blick est allé à sa rencontre pour parler «wokisme», militantisme et même censure.
Publié: 26.04.2022 à 17:08 heures
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Dernière mise à jour: 26.04.2022 à 19:32 heures
Donel Jack'sman sera à Genève ce jeudi 28 avril.
Photo: WOOJUNG PARK
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Dans son tout nouveau spectacle intitulé «Ensemble», l’humoriste français Donel Jack’sman prône la bienveillance et la solidarité. Rencontre avec un artiste engagé qui n’a pas peur d’oser l’impertinence.

Blick: Dans votre dernier spectacle, vous abordez des thèmes comme le racisme, la religion, les relations hommes-femmes. Et ça s’appelle «Ensemble». Ça n’a pas l’air très rigolo…
Donel Jack’sman: [rires] Vous savez, la société n’est pas très rigolote non plus. Et en toute humilité, je me considère un peu comme une sorte de sociologue. J’essaie de comprendre le pourquoi du comment et surtout je trouve que tous les combats auxquels nous sommes exposés, c’est-à-dire: le sexe, l’ethnie, l’orientation sexuelle pourraient tendre à nous diviser alors qu’on pourrait être ensemble.

Selon vous, il y a deux types d’artistes, ceux qui divertissent et ceux qui éduquent. C’est-à-dire?
En fait, je vois l’humour comme une manière d’exposer une vision des choses sans forcément l’imposer, le tout en divertissant les gens. J’aime bien l’idée d’éduquer mon public, mais pas comme le ferait un prof ou un conférencier qui pour le coup n’est pas très amusant. Si je fais ce métier, c’est avant pour faire rire. Mais si j’ai réussi à aborder des thèmes importants pour faire avancer notre société et que le public repart avec un petit message, j’ai tout gagné.

Est-ce que l’éducation a vraiment sa place dans l’humour?
Oui, clairement et encore plus aujourd’hui avec l’avènement des artistes et des salles de théâtre. Il y a de plus en plus de propositions et je pense que le public est beaucoup plus aguerri à l’humour qu’il y a 20 ans. À mon avis, les spectateurs recherchent un peu plus que juste des blagues. Désormais, lorsqu’on va au théâtre, on veut sortir avec autre chose que le rire. Tout le monde peut faire rire aujourd’hui. Tu scrolles sur Instagram, il y a des gens drôles partout: des humoristes, des vidéastes, des animateurs de télé, parfois même des politiciens… Pour se différencier, il faut être un peu plus intéressant que l'individu lambda. Sinon, tu n’es pas humoriste. Si je n’apporte pas un truc en plus, si je suis au même niveau que ton cousin qui te fait marrer au dîner de famille, tu ne paieras pas pour moi…

Mais alors, les humoristes qui se contentent de faire des blagues sans but éducatif sont moins bons que les autres?
Oh non! L’humour pour moi c’est comme de la musique. J’ai des amis qui me font mourir de rire et qui font de l’humour absurde. J’adore ça. Chacun doit choisir le style qu’il aime. On n’est pas obligé d’être engagé pour être humoriste, hein! Il faut juste faire les choses honnêtement. Je préfère une personne qui ne s’engage pas parce qu’elle n’en a ni l’envie, ni les épaules, plutôt qu’un individu qui va faire semblant pour gagner l’empathie du public.

En fait, vous êtes un humoriste «woke»?
Ah non! Je déteste les wokes. Alors là! Je déteste ces petits branleurs de wokes!

Ah bon? Pourquoi ça?
Je n’aime pas ceux qui pensent avoir raison en datant leurs pensées sur une époque. C’est trop facile de n’avoir rien vécu ou d’avoir eu la vie facile pour ensuite dire: «Ouais mais ceux d’avant ont fait de la merde». Bah ceux d’avant ont fait avec ce qu’ils avaient, avec ce qu’ils pouvaient, avec les avoirs et les coutumes de l’époque… Nous dans 50 ans, il y a bien des jeunes qui nous prendront pour des imbéciles.

La «culture woke» et tout ce qu’elle suscite, en termes de politique ou de militantisme, ça vous saoule si j’ai bien compris…
Non, je suis pour le militantisme. Je suis pour les gens engagés. Mais ce que je n’aime pas, c'est ceux qui prétendent avoir tout compris. Nous sommes dans un monde en constant changement et personne ne détient la vérité. Si tu as une idée, tu peux l’exposer mais de là à prétendre saisir notre réalité, comme pourraient le faire les wokes, ça m’énerve un peu… Mais militer, je trouve ça cool!

Cool? Comment ça?
Eh bien je trouve que les réseaux sociaux par exemple, au-delà de son flot de conneries et de merdes, apportent aussi parfois des trucs brillantissimes et soulèvent des mouvements humains qui sont magnifiques.

On entend un peu partout que la société est tombée dans une dictature de la bien-pensance. Vous êtes aussi de cet avis?
Oui, clairement! Parce qu’aujourd’hui, on est entré dans une époque où on ne veut plus que l’être humain connaisse le sentiment de frustration, qui pour moi est nécessaire puisqu’il peut permettre d’avoir du recul sur les choses et sur soi-même. Désormais, on fait en sorte que personne ne se sente frustré. On veut que ce sentiment disparaisse. Il faut prendre soin de tout le monde.

Mettre tout le monde d’accord et faire attention à ne vexer personne, c’est un peu chaud quand on est humoriste, non?
Oui! Et essayer de mettre tout le monde d’accord justement, c’est vraiment un non-sens dans ce métier. L’art est fait pour déranger, bouleverser, susciter des émotions positives ou négatives. Après, c’est au spectateur de prendre du recul pour analyser ce qui le met mal à l’aise, ce qui le gêne. L’idée c’est de se comprendre, de savoir ce qu’on aime ou non. Et si on n’aime pas, on peut choisir de ne pas revoir tel ou tel artiste… Sauf qu’aujourd’hui, on ne veut plus que le spectateur se sente mal et il faut que tout le monde soit à l’aise.

L’art vous a-t-il déjà mis mal à l’aise, vous?
Bien sûr, moi il y a des films qui m’ont retourné le cerveau! Je pense à un film comme «Requiem for a Dream». Quand je regarde cette œuvre, je suis gêné, ça me bouscule. Mais c'est ce qui est beau dans l’art!

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Si vous me permettez de faire l’avocate du diable, préserver les gens des sentiments comme la gêne ou la frustration, ce n’est pas si grave, non?
Si, parce qu’il s’agit de sentiments humains nécessaires. D’ailleurs, sans forcément parler d’humour, on retrouve aussi ça dans cette nouvelle forme d’éducation ultra positive. On ne peut plus dire à un enfant qu’il n’est pas bon à l’école, par exemple. On veut créer des gens super gentils et super cool… En fait, on veut fabriquer des humains en chocolat dans un monde qui devient de plus en plus violent. Il y a une espèce d’inadéquation qui est particulière.

Avez-vous l’impression qu’on ne peut plus rien dire aujourd’hui?
Non, c’est faux. Toute dictature ne marche que si on l’accepte. Moi, sur scène, je dis absolument tout ce dont j’ai envie. Je n’en ai strictement rien à faire. Peu importe qui il y a dans la salle.

Si vous pouvez dire ce que vous voulez, qu’en est-il du public?
Toi, en tant que spectatrice, tu as des droits. Il y en a précisément trois: Tout d’abord, on a le droit de ne pas rire, on peut répondre à l’humoriste si on se sent blessé et enfin, on peut quitter la salle. Et entre nous, je pense que tout humoriste, même le plus virulent, prend un sacré coup quand un spectateur fait savoir que le show ne le fait pas rire et qu’il s’en va.

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de vous auto-censurer?
Sur scène, non. Après comme j’aborde des thèmes assez rassembleurs et que je ne fais pas d’humour noir, je n’ai pas besoin de m’auto-censurer.

Et hors de la scène, alors?
Il y a quand même des endroits où c’est plus compliqué de dire ce qu’on veut. C’est le cas de la radio et de la télé. Après c’est à chaque humoriste d’accepter ou pas la censure. Moi j’ai été censuré en radio et j’ai arrêté parce que je n’aimais pas ça. En revanche, je l’ai accepté à la télé.

Pourquoi?
À la radio, j’ai trouvé qu’avec ce qu’il se passait à l’époque, c’est-à-dire les présidentielles, c’était con de ne pas pouvoir en parler. Ça m’a vraiment dérangé donc j’ai refusé. À la télé, c’est différent. Je bosse dans une émission plutôt familiale qui s’appelle «Les Enfants de la télé». Donc quand on me dit que ce n’est pas l’espace idéal pour faire certaines blagues, je comprends et je suis d’accord de les enlever. En télé, c’est moi qui vais chez les gens, il faut donc que je m’adapte un petit peu. Ce n’est pas le cas pour la scène. Là, ce sont les gens qui viennent me voir.

Vous avez pourtant été victime d’une insulte raciste d’une personne qui était venue à votre spectacle…
Oui, c’était en 2018 et c’était un événement tragique mais aussi assez unique dans l’humour hexagonal. En plein sketch, une personne du public m’a insulté en criant «sale Noir» à trois reprises. Plutôt étonnant puisque ce monsieur avait pourtant payé sa place pour être là… Ce que je retiens surtout, c’est que ça a suscité l’empathie de la France entière. Même le président de la République m’a appelé pour manifester son soutien. C’était un moment disons particulier mais qui a eu une fin assez heureuse. Et si ce moment a été autant relayé par les médias, ce n’est pas pour ma petite personne, mais bien parce que le sujet, c’est-à-dire le racisme, était plus grand que moi.

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Un téléphone personnel de la part du président, ce n’est pas commun…
C’est fou! Dans la vie, même si on est apolitique ou autre, recevoir un coup de téléphone du chef de l’État, ce n’est pas rien. C’est un moment qui m’a fait du bien parce qu’il n’était pas obligé de le faire. Je n’étais pas la priorité et il avait d’autres choses à gérer. Il aurait pu m’envoyer un mail, un communiqué, un texto ou bien faire appeler un chef de cabinet de sa part. Mais qu’il ait pris la peine de demander mon téléphone, de le trouver et de m’appeler en direct, c’était super classe.

Comment fait-on pour garder son calme dans un moment comme celui-ci? À titre personnel, je me serais emportée je pense…
[Rire] Tout va tellement vite… je n’ai eu qu’une fraction de seconde pour décider de l’issue de l’événement. Réagir de façon agressive, c’est con parce que depuis le début du spectacle, tout se passait bien. Il y avait 200 personnes dans la salle qui s’amusaient et il y en a une qui a foutu le bordel. C’est dommage de tout gâcher pour cette personne-là. En fait, je ne voulais pas lui donner le moment de gloire qu’elle attendait. Au contraire, je l’ai isolée et j’attendais de voir à la fin. Mais bien évidemment, à l’issue de ce spectacle, la personne était partie.

Vous avez quand même porté plainte…
Oui, j’ai déposé une plainte qui a été reçue par le premier ministre de l’époque. Après c’est très compliqué de retrouver la personne. Ça implique de rappeler tous ceux qui étaient présents, de reconstituer la salle… c’est un peu trop pour un simple incident sur scène alors qu’il y a des personnes qui vivent de vrais actes racistes et qui n’ont aucune assistance.

Ça doit être compliqué de remonter sur scène après ça quand même…
Non… moi ce qui m’a beaucoup inquiété, c’était que ça devienne une sorte de gimmick et que les gens commencent à reproduire ça pour rigoler à chaque fois que j’entrerais sur scène. Heureusement ce n’est pas arrivé.

Dans votre dernier spectacle, justement, vous revenez sur cette insulte raciste. «Ensemble» est-il une sorte de réponse à cette attaque verbale?
Tout-à-fait. Cet événement a été le déclencheur de mon nouveau spectacle qui a été écrit juste après d’ailleurs. Et si je l’ai appelé «Ensemble» c’est parce que j’ai été soutenu par tellement de gens après ça! Je me suis donc dit que le soutien que j’avais eu la chance d’avoir, chaque personne qui subit des discriminations devrait aussi en bénéficier. Les femmes qui se battent pour leurs droits ont besoin du soutien de tout le monde pour y arriver, pas que de leurs consœurs. Pareil pour les Noirs, les Arabes, la communauté homosexuelle, transgenre, etc. On a besoin du soutien de la masse! C’est ça le fil rouge de mon tout nouveau spectacle.

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«Ensemble» se résume à une forme d’engagement politique alors?
Pas tout à fait. Ce vœu de rassemblement, je l’ai tenu dans toutes les étapes de mon spectacle. De la création jusqu’à la fin. Mon affiche, je l’ai shootée avec du public. J’ai fait un appel sur mes réseaux, j’ai expliqué qu’à tel jour, telle heure, je faisais mon affiche et 300 personnes sont venues. On était ensemble. Pendant mon spectacle, on est ensemble. Et à la fin, je propose de participer à ce que j’ai appelé «la chaîne de la solidarité».

C’est quoi cette «chaîne de la solidarité»?
Eh bien une fois ma représentation terminée, je demande si quelqu’un a besoin de quelque chose et on regarde qui dans le public peut apporter son aide. J’ai fait ça une quarantaine de fois au moins. Grâce à cette initiative, j’ai pu résoudre une quinzaine de cas. Les gens ont trouvé du travail, une nounou, des stages… Parce qu’en réalité, on a ont besoin d'un réseau, de se parler. En fait, mon spectacle, c’est de l’humour mais aussi un peu Leboncoin ou Pôle emploi, quoi!

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