Martin Vetterli
«Il faut stabiliser durablement les systèmes, aussi pour l’économie de marché»

Martin Vetterli, président de l’EPFL, nous rappelle comment l'ingénierie a depuis longtemps mis au point des sécurités dans ses systèmes pour les rendre plus stables et libérer de la pression. Selon lui, il est désormais temps d'appliquer ceux-ci à l'économie.
Publié: 02.11.2021 à 16:24 heures
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Dernière mise à jour: 03.11.2021 à 15:57 heures
Martin Vetterli

Il y a environ 250 ans, l’ingénieur et constructeur de machines écossais James Watt déposait une demande de brevet pour sa machine à vapeur, ouvrant ainsi l’ère de l’industrialisation. Certes, les premières machines à vapeur ont été mises en service plus tôt, mais Watt les a radicalement améliorées. Son chef-d’œuvre: le régulateur centrifuge, qui gère automatiquement l’alimentation en vapeur.

Corriger les écarts trop grands

Le principe est simple. Le régulateur est composé de deux boules tournant autour d’un axe à la manière d’un carrousel. La vapeur alimente le carrousel. Plus il y a de vapeur, plus les boules tournent vite. La force centrifuge les pousse vers le haut et vers l’extérieur. Lorsqu’elles atteignent un point critique, elles utilisent en même temps une soupape qui laisse la vapeur s’échapper. Par conséquent, la pression de la vapeur diminue, le carrousel ralentit, les boules descendent et la valve se referme. Et ainsi de suite.

Dans le langage technique, la boucle de régulation décrite est appelée rétroaction négative ou contre-réaction. L’objectif de la rétroaction négative est de stabiliser un système: les écarts par rapport à une valeur souhaitée sont corrigés en permanence.

Des mécanismes nécessaires

Qui n’aime pas l’exemple de la machine à vapeur peut également imaginer un trajet en voiture sur une route rectiligne. Grâce à une interaction sophistiquée de la perception visuelle et de la motricité, nous effectuons en permanence de petites corrections pendant le trajet. Autrement dit, nous rectifions le cours, afin de rester sur la voie souhaitée.

Bien sûr, il existe aussi des rétroactions positives. Il s’agit de processus qui se renforcent d’eux-mêmes. Ils entraînent généralement des effets indésirables. Un exemple connu en est le bourdonnement et le sifflement d’une enceinte acoustique surmodulée: les sons sont injectés dans un haut-parleur via le microphone et, de là, ils sont renvoyés à plus haut volume dans la pièce, où ils rentrent dans le microphone. Sans intervention, le cycle pratiquement sans fin s’emballe jusqu’à ce que les haut-parleurs partent en fumée.

Un équilibre des systèmes aussi économique

Paradoxe: alors que nous enseignons à nos étudiantes et étudiants en ingénierie comment stabiliser durablement les systèmes, l’économie de marché actuelle repose encore largement sur une croissance déréglée résultant de mécanismes de rétroaction positifs. En créant continuellement de nouveaux besoins, elle se renforce pour ainsi dire seule. Les conséquences pour le climat et l’environnement sont connues.

Une économie rentable qui ne déstabilise pas nos moyens de subsistance est possible, mais nécessite un changement radical de notre mode de gestion. En collaboration avec l’Université de Lausanne et l’IMD, l’EPFL propose donc depuis cette année un nouveau Master intitulé «Management durable et Technologie». L’objectif est de former des cadres responsables capables de gérer les cycles économiques de manière durable sans pour autant réduire les profits. Cette filière dispense le bagage nécessaire en technologie et gestion. Un cours sur la rétroaction en fait bien entendu partie.

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