Nous devons absolument parler de démocratie!
Il y a trois mois qui ont paru une éternité, nous étions encore dans notre train-train quotidien. Le monde semblait tranquille, du moins il ressemblait à ce à quoi nous sommes toutes et tous habitués. Et en jetant un dernier regard sur notre smartphone avant de nous endormir, le 23 février, rien ne semblait indiquer que tout changerait le lendemain matin. Nous ne savions pas grand-chose de l’Ukraine, et il aurait paru fou de nous dire que quelques semaines plus tard, des millions de ressortissants de ce pays seraient en fuite, dont des milliers chez nous.
Tout était normal, et je me rappelle bien, ce mercredi soir-là, de mon téléphone avec le président du Conseil des États, Thomas Hefti. La session parlementaire commençait le lundi d’après et nous nous demandions si nous devions faire une référence au Covid, après deux ans de pandémie. Un mot pour toutes celles et ceux qui ont perdu un proche durant ces temps difficiles et n’ont pas eu de vrai deuil à cause des restrictions sanitaires. Que cela paraît loin aujourd’hui! Ce fut le dernier jour où nous n’avons pas pensé à l’Ukraine. Où nous n’avons pas dû penser à l’Ukraine.
Tout a changé en trois mois. Il y a la guerre sur le continent européen. Vladimir Poutine n’a pas seulement envahi l’Ukraine, mais il s’attaque à nos valeurs. À la paix, à la sécurité et surtout à la démocratie. Je n’aurais jamais pensé que la démocratie soit un bien aussi fragile. Je connaissais sa valeur, mais pas sa fragilité.
Il a fallu une guerre d'agression — inhumaine et injustifiable — pour me faire prendre conscience de l’incroyable fragilité de la démocratie et de toutes les valeurs qui lui sont associées. Bien sûr, il existait beaucoup d’autres événements abominables autour du globe, bien avant la guerre en Ukraine. Mais je croyais fermement que l’architecture de sécurité patiemment construite durant ces dernières décennies en Europe était une garantie.
Je ne gagne pas souvent dans les urnes
Notre démocratie n’est pas parfaite. Nous avons fêté l’an dernier un demi-siècle de vote des femmes, et avant 1971, il est difficile d’estimer que nous nous trouvions en démocratie — même si nous l’appelions ainsi. Aucune démocratie ne peut exclure la moitié de sa population de l’accès aux urnes. Aujourd’hui, 30% de la population résidente en Suisse n’a pas le droit de s’exprimer, même si elle travaille, aime, souffre et paie des impôts ici, parce qu’elle est étrangère. C’est aussi difficile à justifier dans une vraie démocratie. Tout comme le fait d’autoriser les jeunes à participer uniquement à partir de 18 ans — un débat ouvert.
Mais, malgré tous ces défauts et le fait que la participation n’atteint en règle général que la moitié des gens éligibles, nous sommes toutes et tous citoyens d’une démocratie, avec le droit de participer aux élections et aux votations.
Notre démocratie, c’est la diversité. Une diversité d'opinions, de points de vue et d’attitudes. La propension à discuter, négocier et débattre ensemble. C’est pour cela que je me suis toujours engagée. C’est ce que nous défendons tous, et c’est peut-être l’un des seuls dénominateurs communs que nous partageons toutes et tous. Car nous divergeons dans nos points de vue, mais pas sur le principe de décider ensemble quel point de vue doit s'imposer. Et même si je perds souvent sur le plan politique et que ce n’est justement pas mon opinion qui est retenue, je ne vois pas quel système serait plus juste et plus équitable qu'une démocratie. En défendant leur État, les Ukrainiens défendent le principe même de la démocratie. Aujourd’hui comme chaque jour de ces trois derniers mois.