Les vacances. Je trempe mes pieds dans l’eau avec mon fils. J'aime cette sensation quand la mer joue autour de mes pieds. Et mon fils aussi. Comme s'il pouvait sentir l'étendue d'eau salée, il me demande: «Maman, où va l'océan?» Bonne question. «Très loin». Presque partout. La mer du Nord traverse la Manche et se jette dans l'Atlantique Nord, tout en se connectant à la Méditerranée et ainsi de suite. «Jusqu'en Afrique?» «Oui, et beaucoup plus loin. Les mers baignent le monde entier.» Même si je voulais laisser tous les soucis derrière moi, les petits pieds à côté des miens dans le sable et les questions de mon fils sont un pont vers les destins de tous les enfants de ce monde qui fuient sans être accompagnés. Qui traversent les mers dans l'espoir d'une vie meilleure, d’une vie tout simplement.
Le matin même, en faisant une recherche rapide sur les actualités, j'ai lu que le navire de sauvetage de SOS Méditerranée, Ocean Viking, n'avait toujours pas reçu l'autorisation d'entrer dans un port. Et que parmi les 572 réfugiés sauvés de la détresse en mer, il compte à son bord 183 mineurs non accompagnés.
Il y a plus d'un an, une pétition demandait au Conseil fédéral d'accepter 200 enfants réfugiés de Grèce. 200. Pas un millier. Pas la moitié du monde. 200 enfants vulnérables, dans le besoin. C'était avant l'incendie dévastateur du camp de Moria.
Après l'incendie, de nombreuses grandes villes suisses avaient demandé la même chose. Zurich comme Lausanne, Berne comme Genève. Mais le Conseil fédéral ne l'avait pas voulu. Il disait partager les inquiétudes quant au sort de ces enfants non accompagnés en fuite. Et, comme le règlement Dublin l’exige, il rappelait qu’il acceptait les enfants et les jeunes ayant des liens familiaux en Suisse. Et d'autres en plus de cela.
«Depuis 2018, le soutien bilatéral de la Suisse en Grèce s'est concentré sur l'amélioration des conditions d'accueil et d'hébergement des enfants et des jeunes», avait-on répondu aux pétitionnaires. Je ne veux pas minimiser tout cela. Car tout cela est bon, juste et important. Mais d'aucune utilité pour ces 200 enfants. D'aucune utilité pour les milliers d'autres enfants réfugiés. Parce que chaque enfant en fuite est un enfant de trop. Chacun d'entre eux.
Une rage indicible
Cela m'a toujours émue aux larmes, mais depuis que je suis devenue mère moi-même, l'échec de l'Europe lorsqu'il s'agit d'accepter des enfants réfugiés réveille la «maman-tigre» en moi. Outre les larmes, le sort infiniment triste d'enfants innocents suscite en moi une rage indicible. Une colère contre nous tous qui n'aidons pas. Nos raisons peuvent être logiques: on ne peut pas absorber tout ce flux. Elles peuvent être politiques: nous devons résoudre ce problème sur une base européenne. Ou cyniques et insensées: si nous sauvons des enfants en fuite, nous deviendrons les moteurs de ce phénomène et il y aura encore davantage d'enfants réfugiés.
Je prends mon fils par la main et je choisis l'espoir
Quel que soit le raisonnement, qu'il semble logique ou simplement pathétique, lorsque je tiens la main de mon fils dans la mienne, je ne vois pas une seule raison de ne pas aider ces enfants. Parce que les enfants sont des enfants qui, peu importe d'où ils viennent, méritent une vie. Méritent une enfance. Et nous n'avons aucune raison concevable — logique, politique ou cyniquement insensée — de ne pas la leur donner. Nous devenons des brutes lorsque nous devons inventer des raisons pour fuir nos responsabilités.
Je suis ici avec mon fils en vacances et nous trempons les pieds dans la même eau qui est la cause de la mort de centaines d'enfants. Cette même eau qui est aussi l'espoir de ces enfants pour une vie loin de la guerre, de la misère et de la mort. Je prends mon fils par la main et je choisis l'espoir. Parce que ces enfants sont notre espoir.
PS: Je viens de recevoir la nouvelle que l'Ocean Viking est autorisé à entrer dans un port sicilien.