Irène Kälin
Blauburgunder ou Pinot Noir?

Future présidente du Conseil national, la verte argovienne Irène Kälin s'émerveille de la richesse du multilinguisme de la Suisse... tout en soulignant comment cette spécificité peut créer des situations problématiques au Parlement.
Publié: 30.06.2021 à 18:11 heures
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Dernière mise à jour: 06.07.2021 à 13:04 heures
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Irène Kälin

Ça y est, on peut à nouveau aller au restaurant avec autant de convives que l’on souhaite. Après une si longue période de restrictions, j’en profite. Je sors manger et j’attrape une discussion au vol de la table d’à côté. Le sujet: la carte des vins. Le gentleman aime les cépages français, dit-il. Le Pinot Noir en particulier. Je l’en félicite secrètement, car il a de la chance: dans ma région, c’est le cépage rouge le plus planté et le plus vinifié. Et franchement, je n’en suis pas très friande, tant pour les raisins que pour le vin. Son compère rétorque qu’il préférerait essayer un «Blauburgunder» de la région. Ce à quoi l’amateur de Pinot Noir répond que le Pinot Noir qui figure sur le menu est également d’ici. Je rigole intérieurement. Deux noms différents pour le même cépage et vous donnez l’illusion d’avoir l’embarras du choix.

«Personne ou presque ne parle les quatre langues nationales»

En y réfléchissant, c’est magnifique. Après tout, nous sommes un pays multilingue. Et même si je n’ai aucune difficulté à choisir entre un Pinot Noir et un Blauburgunder, mes compétences linguistiques ont aussi leurs limites. Personne ou presque ne comprend, et encore moins ne parle, l’ensemble des quatre langues nationales. Il en va de même pour moi. Rhéto-romanche? Pas un mot. Aucune chance de comprendre Jon Pult lorsqu’il s’exprime dans sa merveilleuse langue maternelle. Mon italien? Il suffit pour commander «il gelato» ou «il letto matrimoniale» en vacances, mais au Parlement, je ne saisis que le sens des grands discours, pas les détails.

C’est dommage, mais cela ne m’empêche généralement pas de faire mon travail politique. Pour les sessions plénières du Conseil national, il y a des traductions simultanées et dans les commissions, tout le monde essaie de parler en allemand ou en français, même celles et ceux de langue italienne ou rhéto-romanche. Mais comme partout en Suisse, il y a des collègues qui ne parlent même pas la langue de l’autre côté de la barrière de rösti. Des Lausannoises qui ne parlent pas un mot d’allemand ou des Zurichoises qui font deux cépages à partir d’un seul.

Le multilinguisme «devient vraiment problématique au Parlement»

Ce qui est dommage et parfois cocasse dans la vie quotidienne devient vraiment problématique au Parlement. Car si quelqu’un ne comprend pas qu’un «Glas Weisswein» est la même chose qu’un verre de vin blanc, comment peut-il suivre ce qui se dit sur la révision de l’AVS dans une séance de commission? Je ne sais pas. Mais cela sonne très faux lorsque lors d’une séance de commission, deux membres du même groupe parlementaire mais venant de part et d’autre du Röstigraben posent exactement la même question à un conseiller fédéral dans des langues différentes et s’étonnent ensuite de n’obtenir qu’une réponse — ce qui fait que l’un des deux n’aura pas ou peu compris la réponse à sa question. Alors il redemande. Malaise. Le conseiller fédéral répond sèchement: «Vous avez posé la même question que le conseiller national et je ne réponds qu’une fois à la même question.» C’est compréhensible, mais compliqué pour le collègue qui n’aura compris ni la question, ni la réponse.

Et malgré cela, notre Parlement fonctionne. Ceux qui ne comprennent pas l’autre langue arrivent visiblement toujours à trouver un moyen de se débrouiller. Et la pandémie aura eu au moins eu un avantage: celui de rapprocher dans nos esprits Lausanne et Zurich sur la carte. Car franchir le Röstigraben paraît toujours être un gros défi. Maintenant que les vacances d’été arrivent, nous pourrons toutes et tous rafraîchir notre français ou notre allemand et visiter l’autre partie du pays. La carte des vins semblera simplement moins variée en revenant, mais le Pinot Noir toujours bon.

Note: cette chronique a été écrite en français — et non traduite — par Irène Kälin.

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