C’est une vieille rengaine martelée par la droite réactionnaire, histoire de pouvoir dire, «le peuple, c’est nous». Un discours populiste et caricatural qui contamine même des membres du Parti socialiste (PS), comme le camarade valaisan Valentin Aymon: la gauche aurait abandonné les questions sociales au profit des débats sociétaux. En résumé, «adieu les 'petites gens', débrouillez-vous, nous nous occupons désormais d’antiracisme, de féminisme, d’homo- et de transphobie parce que nous sommes friqués et nous adorons le caviar mais pas le foie gras».
Or, l’assertion est fausse. Prenez les derniers référendums et initiatives du PS au niveau suisse et dans les cantons: fiscalité, salaire minimum, crèches, assurances et inégalités sociales. Seul un texte soumis à la population s’écarte vraiment de cette ligne: l’interdiction de l’homophobie. Pour rappel, le mariage pour toutes et tous nous a été offert par les Vert’libéraux.
Et puis, qui dit que la défense des minorités (femmes, personnes racisées, homosexuelles ou transgenre) ne fait pas vibrer celles et ceux qui n’arrivent pas à boucler leur fin de mois? Vous leur avez déjà parlé? Après tout, moins on a de thunes, plus on est ostracisé, non seulement parce qu’on est pauvre mais aussi juste pour qui on est. Et on connaît souvent les notions de solidarité et d’entraide.
Quel dédain à l'égard des classes populaires!
Il y a dans les grandes tirades sur les classes populaires quelque chose de puant: on part du principe que les caissières, les femmes de ménage, les chauffeurs de bus, les livreuses, les ouvriers, les mères célibataires ou les chômeurs n’ont pas le même cerveau, qu’il faut leur causer d’une manière différente. En mettant une casquette, par exemple, comme le suggère Philippe Nantermod, vice-président du Parti libéral-radical suisse (PLR).
Alors oui, les prolos ont tendance à glisser vers l’extrême-droite, celle qui choisit les étrangers, les «wokes», les écolos, les Juifs et les épidémiologistes comme bouc-émissaires. Mais la réalité est ailleurs: dans un pays dirigé depuis toujours par la bourgeoisie et l’aristocratie qui ne s’est jamais occupée d’eux, les «sans-dents» sont des die hard abstentionnistes. En France, la gauche gouvernementale peut sans doute en être tenue responsable, en Suisse pas.
Et, oui, le PS compte surtout parmi son électorat des fonctionnaires, des enseignants et des universitaires, aussi séduits par l’écriture inclusive, les toilettes mixtes et la notion de consentement dans le droit pénal sexuel. Des portes-drapeaux de la classe moyenne ou moyenne supérieure, qui votent souvent contre leur propre porte-monnaie mais pour un monde plus juste, «pour toutes et tous, sans privilèges».
En même temps
La force électorale du deuxième parti de Suisse se trouve donc moins chez les misérables que chez les bobos intellos et écolos. A tel point que le PS peut (presque) se passer des voix des premiers, qui se rendent moins aux urnes ou qui plébiscitent l'UDC.
Mais lors des fédérales 2023, chaque bulletin risque de peser lourd. Talonné par le PLR dans les sondages, le PS serait bien inspiré de continuer d'occuper le terrain médiatique avec ses messages antiracistes, féministes et pro-communauté arc-en-ciel. Sans oublier de travailler pour plus d'équité sociale à travers des initiatives, des référendums ou des motions parlementaires. Pour ratisser le plus large possible.