Vous écoutez de la K-Pop? Vous êtes la cible du soft power sud-coréen. Vous buvez du coca, rêvez d’être Superman? C’est que vous avez cédé au soft power américain. Vous achetez sur Temu? Les Chinois sont en train d’entrer dans vos pensées. Pour s’imposer, il y a la méthode dure (drones, chars, tranchées), il y a la puissance douce, qui consiste à privilégier la persuasion à l’intimidation. Et la Suisse? De quels instruments de diplomatie symbolique dispose-t-elle pour exister aux yeux du monde? Il y avait Federer, mais il a pris sa retraite. La renommée des banques ou l’efficacité de la pharma ne suffisent plus à vaincre les tempêtes. Le fromage, le chocolat? Taxés à 39% sur le marché américain, ils font profil bas. Nos glaciers fondent sous nos yeux et notre or file aux USA.
Heureusement, il nous reste TV5 Monde ou Swissinfo pour offrir une image de la Suisse respectueuse de ses réalités multiples, qui raconte la riche complexité de sa démocratie. TV5 Monde fait du présentateur du 19.30 le chouchou de l’Afrique et Infrarouge la fenêtre de liberté pour toute la Chine, puisqu’elle est la seule télévision francophone autorisée. Sur TV5 Monde, la Suisse a l’air vivante, agile, cultivée, cool, à la fois urbaine et amoureuse de ses traditions. Elle fait rêver hors des frontières, mais de ces rêves qui font avancer les sociétés: respect du vivant, équilibre maintes fois réinventé entre les minorités et la majorité. Pour même pas huit millions de francs, la Suisse ainsi touche 430 millions de foyers de par le monde, parle à l’oreille de ses concitoyennes et concitoyens exilés, et s’expose dans des contenus qui ne transigent pas avec la vérité.
Hélas, ce dernier rempart contre les fake news, cette vitrine intelligente de notre pays sont désormais menacés par les coupes budgétaires de la Confédération. Le Conseil fédéral a en effet décidé de supprimer sa participation à TV5 Monde et à Swissinfo. La SSR, soumise, elle aussi, à des cures d’austérité, ne pourra sans doute pas pallier la désaffection de l'Etat. Vous me direz qu’il faut bien sabrer quelque part. Et à l’heure des priorités données aux besoins légitimes de la population, que pèsent des médias tournés essentiellement vers l’étranger? Qui va pleurer l’effacement de Swissinfo, qui existe pourtant depuis 1935? On devrait pourtant. Et se méfier des renoncements à courte vue, auxquels il est facile de se résigner, en biffant une simple ligne budgétaire.
Dans ce nouveau monde qui favorise les purs rapports de force et les voix les plus tonitruantes, le danger d’invisibilité guette les Etats contraints à la recherche du consensus, à la diplomatie taiseuse, à la lente pesée des intérêts. TV5 Monde ou Swissinfo nous font traverser les océans, gagner le cœur des gens. De nos jours, qu’y a-t-il de plus précieux?