L’Allemagne a peur. Et l’Allemagne se trompe. Décider, comme vient de le faire le Chancelier Scholz, de rétablir temporairement les contrôles aléatoires aux frontières de la République fédérale, n’est pas en soi contestable. Tous les pays membres de l’espace Schengen, dont la Suisse, ont le droit de prendre cette décision dans des situations d’urgence. Il ne faut donc pas juger Berlin sur ces modalités policières et douanières, même si elles peuvent sérieusement pénaliser les travailleurs frontaliers. C’est l’efficacité de cette mesure qui doit être débattue lorsqu’il s’agit de faire face aux flux migratoires et à leurs conséquences sur nos sociétés ouvertes.
Que veut dire, d’abord, mieux contrôler ses frontières en 2024? Est-ce contrôler chaque véhicule? Est-ce demander une pièce d’identité à chaque passager? Est-ce forcer à descendre tous les occupants des bus ou des trains? La réponse est évidemment non. Les flux de personnes sont tels qu’un changement de ce type entraînerait aussitôt des embouteillages montres et la quasi-paralysie de l’économie des régions frontalières. Tout demeure donc aléatoire. Des forces de police sont déployées. Mais tout ce qu’elles vont faire de façon systématique, ces jours prochains, était déjà possible. Les technologies, la surveillance des principaux points de transit, le contrôle ferroviaire, tout cela existe déjà.
Manier une illusion
Ce que fait le gouvernement allemand est de manier une illusion: celle d’un pays capable de remédier, d’un coup de baguette magique administratif, à ce problème de fond qu’est la difficile intégration des migrants, et parmi eux surtout des jeunes hommes. L’on voit aussi réapparaître, à Berlin, la tentation du scénario de la déportation vers le Rwanda, comme l’avaient imaginé les gouvernements conservateurs britanniques. Faisable? Oui, au mépris de nombreuses règles de droit. Efficace? Rien n’est moins sûr. Sans doute faudrait-il mieux, comme l’envisage en ce moment l’Italie en Albanie, travailler à des solutions pour des camps de transit ou de renvoi, avec des pays désireux d’accéder à l’Union européenne, sur lesquels les membres de l’espace Schengen disposent de leviers et de moyens de pression.
Le calendrier est redoutable. Le pacte pour les migrations adopté par l’Union européenne en mai 2024 n’entrera en vigueur qu’à partir de 2026. C’est l’agenda législatif des pays qui l’impose. Il faut donc, d’ici là, trouver des solutions temporaires viables, par exemple face à l’urgence des naufrages dans la Manche, où un zodiac de migrants vient encore de sombrer, entraînant la mort de huit personnes. L’Allemagne peut faire des propositions en ce sens. Pourquoi pas un commissaire européen dédié aux migrations? Pourquoi ne pas mettre ce sujet des renvois dans les pays d’origine au menu d’une conférence sur l’aide accordée par les pays européens, principaux bailleurs de fonds humanitaires? Pourquoi ne pas se joindre à la proposition italienne faite à l’Albanie?
Berlin se trompe
Il faut trouver un moyen de mieux gérer la question migratoire. Par l’accueil. Par le tri. Par l’intégration. Par la coercition aussi et par le contrôle. Mais croire qu’une frontière protège encore de l’arrivée d’hommes et de femmes prêts à tout pour survivre n’a guère de sens. En agissant de la sorte, Berlin se trompe. Et nous trompe.