Même sort pour la Suisse?
Crise immobilière américaine: les investisseurs se retirent en masse

Les achats de logements par les investisseurs ont chuté au premier trimestre 2023 aux Etats-Unis comme jamais depuis 2000. Quelle sont les raisons et quelle est la situation sur le marché suisse? Blick fait le point.
Publié: 04.06.2023 à 10:30 heures
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Dernière mise à jour: 04.06.2023 à 11:04 heures
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Les achats de maisons par des investisseurs ont massivement diminué l'année dernière aux Etats-Unis. Sur la photo: le Flatiron Building à New York.
Photo: Getty Images
Manuel Boeck

Au premier trimestre 2023, les investisseurs immobiliers ont connu une chute significative de leurs achats de maisons aux États-Unis, avec une baisse de 48,6% par rapport à l'année précédente. Il s'agit de la plus forte baisse annuelle enregistrée depuis que Redfin a commencé à suivre les données en 2000, selon Markets Insider.

Cette baisse a dépassé la diminution globale du marché de 40,7% en termes d'achats, principalement en raison de l'augmentation des taux d'intérêt et de la baisse de la rentabilité due à la diminution des loyers et des valeurs immobilières. Cette tendance à la baisse devrait se poursuivre au deuxième trimestre, car les investisseurs sont confrontés à des coûts d'emprunt plus élevés. L'incertitude économique persistante incite également certains investisseurs à se tourner vers d'autres classes d'actifs telles que les actions et les obligations.

Situation difficile sur le marché immobilier américain

Le marché immobilier américain est actuellement confronté à une situation difficile, avec des prix en hausse importante pendant la pandémie de Covid-19, une économie incertaine et une augmentation drastique des taux hypothécaires. Selon Burak Er, responsable de la recherche chez Avobis, cette conjoncture indique une correction imminente du marché.

Les taux hypothécaires aux États-Unis ont fortement augmenté l'année dernière en raison des hausses de taux de la Réserve fédérale, et ils restent à un niveau élevé, avec un taux fixe de 30 ans atteignant 6,63% après avoir dépassé les 7% en début d'année. Les investisseurs, qui ont souvent recours à des liquidités, sont également touchés par cette hausse des taux car ils ont besoin de prêts non hypothécaires pour financer les rénovations et autres dépenses.

Pendant la pandémie, les investisseurs ont été actifs sur le marché immobilier américain, profitant des taux d'intérêt bas et de la forte demande. Cependant, en mars, 13,5% des maisons ont été vendues à perte par les investisseurs. Le marché de la rénovation immobilière, connu sous le nom de «house-flipping», a aussi connu une proportion élevée de ventes à perte, avec 20,8% des maisons concernées.

Selon Burak Er, la situation difficile sur le marché immobilier américain est aggravée par les politiques restrictives des banques en matière de prêts, ce qui limite les possibilités de refinancement. De plus, les avertissements concernant les risques élevés dans le secteur de l'immobilier commercial se multiplient, suscitant des inquiétudes quant à un éventuel effet de contagion. En revanche, les répercussions de ces facteurs seraient beaucoup moins prononcées, voire inexistantes, en Suisse.

Ursina Kubli, responsable de l'analyse immobilière à la Banque cantonale de Zurich, identifie quatre raisons expliquant pourquoi les développements actuels sur le marché américain ne se répercuteront pas aussi rapidement en Suisse.

Premièrement, les taux d'intérêt suisses sont plus bas qu'aux États-Unis. Deuxièmement, de nombreux propriétaires immobiliers en Suisse bénéficient toujours de contrats hypothécaires à long terme avantageux. Troisièmement, le marché immobilier suisse est moins liquide que celui des États-Unis, ce qui incite les propriétaires à conserver leurs biens, en particulier s'ils sont bien situés. Quatrièmement, l'offre de logements locatifs est de plus en plus restreinte en Suisse, ce qui réduit le risque de vacance et entraîne une augmentation des loyers, ce qui est bénéfique pour les propriétaires immobiliers.

Le comportement des investisseurs a également changé en Suisse

Le comportement des investisseurs sur le marché immobilier suisse a également connu un changement significatif depuis 2022. En raison de la hausse des taux d'intérêt, les investisseurs sont devenus plus prudents, ce qui a entraîné un écart important entre les prix demandés par les acheteurs et les vendeurs. Deux indicateurs clés de ce changement sont l'augmentation des rendements à l'achat depuis le second semestre de 2022 et la diminution de la liquidité sur le marché.

De plus, le marché immobilier suisse connaît une évolution notable en termes d'offre. Un nombre croissant de biens immobiliers présentant des défauts de durabilité sont mis en vente, tandis que les biens de qualité deviennent rares. Les biens immobiliers difficiles à rénover ou impossibles à réhabiliter risquent de devenir ce que l'on appelle des «actifs bloqués», ce qui pourrait entraîner une baisse importante des prix, prévient le responsable de la recherche chez Avobis.

Selon Kubli, l'environnement de taux d'intérêt plus élevés conduit à un comportement plus sélectif sur le marché et les biens immobiliers de grande qualité sont rares sur le marché de la vente. En revanche, on observe l'arrivée d'immeubles de rapport plus petits, situés en périphérie et moins bien notés sur le plan environnemental, social et de gouvernance (ESG). Actuellement, les prix des immeubles de rapport connaissent une phase de correction, en partie due à leur moins bonne qualité.

Une hausse des taux d'intérêt pourrait renforcer le problème

En outre, les preneurs d'hypothèques Saron ressentent désormais eux aussi la pleine hausse des taux d'intérêt en raison de l'aplatissement de la courbe des taux, ce qui renforce le problème de liquidité dans certains portefeuilles. Selon Burak Er, cela est dû au fait que les ajustements des loyers ne suivent pas la hausse des coûts de financement. En réaction à ces incertitudes, les investisseurs ont peut-être vendu des biens immobiliers de manière ciblée afin de garantir leurs liquidités et ont ajusté leurs ratios d'endettement. «De nouvelles hausses des taux d'intérêt pourraient accentuer ce problème, mais les ajustements imminents du taux de référence hypothécaire permettront désormais des augmentations des loyers existants. Cela devrait avoir une influence positive sur la situation des liquidités», poursuit-il.

La Suisse risque-t-elle donc malgré tout de connaître une évolution similaire à celle des États-Unis? En principe, les conditions macroéconomiques favorables - forte immigration, diminution de l'activité de construction ou baisse du taux de vacance - laissent entrevoir des perspectives positives à long terme pour le marché du logement. Mais à court terme, selon Burak Er, les incertitudes générales et les conditions de financement plus difficiles peuvent entraîner une volatilité du marché et, en fin de compte, une correction des prix.

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