Impossible de faire plus symbolique. Pour l’une de ses dernières visites à l’étranger avant la fin de son année présidentielle, Ignazio Cassis a choisi Paris. Et pas à n’importe quelle date. Le président de la Confédération arrivera en France ce vendredi 11 novembre, et il participera au Forum annuel de Paris sur la paix. Pile le jour anniversaire de l’armistice qui mit fin à la première guerre mondiale, le 11 novembre 1918. La sonnerie aux morts résonnera ce jour-là, comme chaque année, devant la tombe du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe. Difficile pour les deux voisins, dans un tel contexte, de ne pas apparaître comme les meilleurs amis du monde.
«Surmonter la multicrise»
Coté diplomatique, Ignazio Cassis participera à la 5e édition du Forum de Paris pour y débattre d’une thématique qui ne laisse pourtant guère augurer d’un retour rapide de la paix en Ukraine. Son titre: «Surmonter la multicrise». Le fait que cette manifestation, organisée pour la 5e année consécutive – elle fut lancée en 2018, l’année du centenaire de l’armistice de 1918 – ait lieu cette année au Palais Brogniart, dans l’enceinte historique de la Bourse parisienne où des fortunes ont été amassées et dilapidées durant des décennies, est d’ailleurs un raccourci saisissant.
La Confédération, rappelons-le, avait accueilli à Lugano la Conférence sur la reconstruction de l’Ukraine les 4 et 5 juillet 2022. Mais depuis, la place de la Suisse neutre vis-à-vis de ce conflit suscite les interrogations du côté de ses partenaires de l’Union européenne, avec lesquels les négociations bilatérales sont toujours dans l’impasse. «L’inflexible neutralité de la Suisse irrite» titrait «Le Monde» le 7 novembre. Et d’ajouter, après le rejet par Berne de la demande de Berlin de livrer à l’Ukraine des munitions helvétiques achetées par l’Allemagne: «Berne se trouve peu à son aise, coincé par sa lecture littérale de la neutralité – alors que l’environnement de sécurité collective en Europe a changé. D’autres pays neutres, comme la Suède, se sont plus vite adaptés».
Guerre et «paix éternelle» ?
Une autre guerre, toutefois, dominera le séjour d’Ignazio Cassis à Paris. Une guerre qui n’en est pas une. Une guerre qui ne remet pas en cause le traité de Fribourg de 1516, garantissant une «paix éternelle» entre la France et la Suisse. Une guerre des mots et des non-dits, qui oppose les deux pays, malgré les liens commerciaux, énergétiques et industriels qui les unissent, et malgré les 160 000 frontaliers français qui viennent chaque jour travailler sur le sol helvétique (dont le régime fiscal est aujourd'hui un contentieux franco-suisse).
La paix va-t-elle revenir entre Paris et Berne ce 11 novembre, à l’issue de la rencontre entre Emmanuel Macron, le défenseur acharné d’une Union européenne forte, et Ignazio Cassis, dont la fibre proeuropéenne s’est étiolée au fil de sa présence au gouvernement? Il est probable que le président de la Confédération invitera son homologue français à effectuer une visite d’Etat en Suisse, comme cela fut le cas pour son prédécesseur François Hollande les 15 et 16 avril 2015. Celui-ci avait alors été reçu par Simonetta Sommaruga. Et il avait même pris le train entre Zurich et Lausanne, accompagné par une délégation de chercheurs et intellectuels.
Le «Tour de France» de l’Ambassadeur Balzaretti
11 novembre 2022, le jour de l’armistice entre la France et la Suisse? Peu probable, même si les sourires et les formules de politesse sont de mise. Sur le dossier européen, les positions d’Emmanuel Macron ont toujours été celles de la fermeté envers les pays tiers désireux d’accéder au marché de l’UE. La décision helvétique d’acheter des avions F35 américains, plutôt que des Rafales de Dassault, est aussi restée en travers de la gorge des Français, qui estiment avoir été floués et trompés au fil de la prise de décision par le Conseil fédéral. Restent les symboles. Or sur ce plan, la volonté ne manque pas: depuis des mois, l’ambassadeur suisse en France Roberto Balzaretti pédale à travers l’Hexagone pour un «Tour de France» «made in Switzerland».
Et si Ignazio Cassis mouillait lui aussi le maillot et montait sur un vélo?