Michel Duclos connait très bien la Suisse. Ancien ambassadeur de France à Berne (2012-2014), cet analyste réputé des questions internationales vient de publier un essai collectif de référence: «Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde» (Ed. Observatoire). Son objectif: essayer de comprendre comment l'Europe, et la France, sont aujourd'hui perçues par le reste du monde, dans le contexte du conflit déclenché le 24 février 2022 par Vladimir Poutine.
Un autre sujet monopolise toutefois l'attention de ce conseiller de l'Institut Montaigne: la crédibilité internationale de son pays, la France, bousculée par des crises sociales à répétition. Sujet d'actualité, alors qu'Emmanuel Macron s'envole ce mercredi pour la Chine (il se rendra à Pékin, puis à Canton) en pleine bataille sociale sur la réforme des retraites. Le président français est-il affaibli par le tumulte domestique? Ou conserve-t-il, au contraire, une influence déterminante? Réponses franches et argumentées.
Emmanuel Macron se rend en Chine pour sa première «grande» visite à l'étranger depuis le début de la crise des retraites. Aurait-il mieux fait de s'abstenir?
Pourquoi? Parce que vous pensez que le monde entier scrute le climat social en France? À vrai dire, je pense le contraire. Je ne crois pas qu’en dehors d’Europe, les manifestations françaises contre la réforme des retraites ont beaucoup retenu l’attention. En plus, comme à chaque fois lorsqu'un blocage social survient, l’effet international est ambivalent. Les manifestations donnent sans doute une mauvaise image de la France. Mais le bras de fer entre le président et les manifestants confirme aussi la capacité de Macron à tenir tête et à réformer. Notre vrai problème avec les Chinois, qui sont des hyper pragmatiques, tient plutôt à la dégradation continue de notre commerce bilatéral avec Pékin. Près de 39,6 milliards d'euros de déficit en 2022 (NDLR: contre douze milliards de francs d'excédent commercial en faveur de la Suisse). Les échanges commerciaux pèsent bien plus lourd dans la balance diplomatique que les contestations dans la rue.
Vous venez de publier un essai collectif consacré aux regards internationaux sur la guerre en Ukraine. La France est-elle, aujourd'hui, vue comme un partenaire à part, ou bien est-elle associée à l'OTAN, donc alignée sur les États-Unis?
Ce livre le prouve: il est très clair que la France continue d’être vue sur le plan géopolitique comme un pays à part; un acteur du monde occidental certes, mais différent des autres. Il faut bien avoir en tête que si tous les auteurs du «sud global» dans ce livre blâment l’agression russe, ils font tous, simultanément, le procès de l’Occident. Attention donc à ne pas se méprendre sur la perception internationale du positionnement d'Emmanuel Macron. Sa volonté de maintenir le plus longtemps possible la porte ouverte au dialogue avec Moscou l’a sans doute affaibli en Europe, car la plupart des partenaires européens de la France ne comprennent pas cette attitude. Mais dans les pays du sud, sa volonté de dialogue avec Poutine - et par ricochet sa volonté de maintenir une bonne relation avec la Chine - est incontestablement portée à son crédit.
La France peut ainsi bien prétendre être une «puissance d'équilibre», selon la formule d'Emmanuel Macron?
Laissons de côté cette formule de « puissance d’équilibres » qui laisse perplexe la plupart des observateurs. En revanche, la France conserve des atouts sérieux comme puissance d’initiative. Il est significatif qu’avec le président chinois Xi Jinping, Macron aura au moins deux entretiens approfondis. Il a les capacités intellectuelles pour mener ce type de dialogue, d’autant plus qu’il reste en lien étroit avec la Maison Blanche et les grandes capitales de l’ouest comme du sud. Notre livre le montre bien: dans le contexte de la guerre en Ukraine, il est indispensable pour les Européens de renouer un lien de confiance entre les Occidentaux et les pays du sud. C’est un créneau sur lequel la France peut s'avancer, jouer un rôle et obtenir des résultats.
Sauf que Pékin regarde surtout aujourd'hui du côté de Moscou...
Et alors? Cela n'empêche pas Emmanuel Macron d'avoir raison. Il a été dès 2017 conscient des faiblesses de l’Union européenne face au rouleau compresseur chinois. Il a très bien compris qu’il fallait une stratégie européenne n’excluant pas le dialogue certes, mais comportant un fort élément de fermeté. Je pense qu’il a marqué des points vis-à-vis du Chancelier Olaf Scholz en proposant à la présidente de la Commission européenne de l’accompagner à Pékin. Celle-ci vient d’ailleurs de prononcer un discours remarquable sur la Chine. La vraie difficulté est que les Européens doivent réduire leur dépendance stratégique à l’égard de la Chine, alors qu’ils se lancent dans une politique de transition écologique et de décarbonation de l'économie qui va les rendre encore plus dépendants des équipements chinois (batteries, éoliennes…) ou des terres rares détenues par la Chine.
La neutralité suisse est bousculée. L'OTAN sermonne Berne sur les réexportations de munitions vers l'Ukraine. Selon vous, que pense la Chine d'une Suisse neutre?
Ce que les Chinois examinent avec la plus grande attention, c’est la manière dont se déploient les sanctions occidentales et européennes à l’égard de la Russie. C’est pour eux une sorte de laboratoire de ce qui pourrait se passer en cas de crise sino-américaine. De ce point de vue, l’attitude suisse est sûrement surveillée de très près à Pékin, comme un test emblématique de la robustesse du système des sanctions.
A lire: «Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde». Un ouvrage coordonné par Michel Duclos (Ed. Observatoire).
Et pour compléter, sur la Chine:
«Le dossier chinois, Portrait d'un pays au bord de l'abime» (Ed. Cherche Midi) Sous la direction de Pierre-Antoine Donnet
«Dernier vol pour Pékin» (Ed. Observatoire) de Alice Ekman