Petit gabarit, allure discrète, Béatrice Zavarro pourrait aisément passer inaperçue au tribunal d'Avignon, dans le sud de la France. Sereine, elle a pourtant l'immense charge de la défense de Dominique Pelicot, un des pires criminels sexuels de ces dernières décennies. «Je suis seule face au monde», explique l'avocate, avec le ton posé et calme qui la caractérise depuis l'ouverture du procès des viols de Mazan, le 2 septembre, devant la cour criminelle de Vaucluse (sud), où comparaissent son client, 71 ans, et 50 coaccusés.
Principal accusé de cette affaire criminelle hors norme, Dominique Pelicot reconnaît les faits et souhaite la peine maximale de 20 ans de réclusion. Mais il n'entend pas tomber seul: 50 hommes recrutés sur internet «savaient tous» qu'ils venaient pour violer Gisèle Pelicot, affirme-t-il. Eux nient, l'accusant en retour de les avoir manipulés.
Situation inaccoutumée donc, où l'avocate du principal accusé soutient l'argumentation des parties civiles, au risque d'endosser un inattendu rôle de procureure. «A partir du moment où je défends un homme dont on me dit qu'il est un menteur, un manipulateur, qu'il a berné tout le monde, je dois tenter de rétablir la vérité», se justifie Béatrice Zavarro: «ma mission, c'est qu'on arrive à comprendre, même si on le déteste, comment il a pu réaliser ces faits détestables.»
Béatrice Zavarro a par le passé défendu Christine Deviers-Joncour dans l'affaire politico-financière Elf, et représenté le père de Madison, fillette de cinq ans enlevée puis tuée en 2006 dans le sud-est de la France. «Elle est sur un fil. Sa position est loin d'être évidente mais elle la tient avec beaucoup de finesse. Ne pas réduire 'le monstre' à ses crimes, faire oublier la face B pour rappeler la face A, les deux coexistant dans cette personnalité clivée», reconnaît Antoine Camus, un des avocats des parties civiles.
«En France, chacun a le droit d'être défendu»
Ce qualificatif de «monstre», la Marseillaise de 55 ans aux lunettes rondes et rouges le réfute, se considérant seulement comme «l'avocate de quelqu'un qui a commis quelque chose de monstrueux». Et de rappeler qu'en «France, dans un Etat de droit, chacun a le droit d'être défendu». Si elle n'a pas reçu de menaces directes – elle est absente des réseaux sociaux – son secrétariat reçoit de nombreux appels malveillants. «Vous devriez faire attention...» lui avait glissé un badaud début septembre. «J'ai décidé de défendre Dominique Pelicot parce qu'il me l'a demandé. Il m'a accordé sa confiance», explique l'avocate, payée via l'aide juridictionnelle – un mécanisme financé par l'Etat dont peut bénéficier chaque détenu – reconnaissant avoir «sous-estimé l'impact médiatique» de ce procès au retentissement mondial.
C'est un de ses ex-clients qui l'avait recommandée à Dominique Pelicot, quand les deux hommes s'étaient connus à la prison marseillaise des Baumettes. «Opiniâtre, très calme et courageuse, car elle a le mauvais rôle», selon son confrère Patrick Gontard, 45 ans de métier. «Elle prend ses dossiers à bras le corps mais dans une main de velours», ajoute Myriam Gréco, qui défendait alors le meurtrier de Madison, décrivant «un petit bout de femme qui peut sortir ses griffes, mais sans esbroufe».
Un caractère qui semble correspondre à sa personnalité: sa robe d'avocate rapiécée ou son cabinet défraîchi du coeur de Marseille (sud) témoignent de son refus des effets de manche. À Avignon, où elle réside momentanément pour les besoins de ce procès emblématique des violences sexuelles, elle loge en périphérie, dans un quartier populaire. Deux fois par jour, elle parcourt en marchant les quelque deux kilomètres jusqu'au tribunal, pour «se libérer l'esprit», inlassablement accompagnée de son mari, Édouard. «Elle intériorise beaucoup, se livre peu, donc je fais le bouffon de service pour la requinquer», atteste son conjoint depuis 30 ans, parfois confondu comme son garde du corps en raison de sa taille imposante.
Pour Me Béatrice Zavarro, ce procès constitue «un épisode essentiel dans l'évolution du sujet qu'est le viol», avec «un premier palier qui est Gisèle Halimi (ndlr: avocate de ce procès emblématique de 1978 qui contribua à faire reconnaître le viol comme un crime) et un deuxième palier qui sera Gisèle Pelicot».