L'article questionné par le Conseil de l'Europe, qui permet l'adoption d'un texte de loi sans vote du Parlement, figure depuis 1958 dans la Constitution française, et a été utilisé 100 fois par les gouvernements qui se sont succédé depuis cette date, dont pas moins de 28 fois par le gouvernement de Michel Rocard (1998-1991), et 11 fois par l'actuelle Première ministre, Élisabeth Borne, depuis sa nomination en mai 2022.
Depuis 2008, cet article ne peut être activé que pour les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, et pour un seul autre texte par session parlementaire.
Dans un avis intérimaire publié mercredi, la Commission de Venise, groupe consultatif du Conseil de l'Europe apportant aux États des avis juridiques sur des projets de lois ou des textes déjà en vigueur, estime que ce dispositif «soulève des interrogations au regard des principes du pluralisme, de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté du législateur».
Cet article constitue une «ingérence significative de l'exécutif dans les pouvoirs et le rôle du pouvoir législatif», observe la Commission. Le 49.3 «ne représente pas une forme de délégation, mais plutôt un pouvoir législatif autonome entre les mains de l'exécutif».
«Sans discussion réelle»
Elle conclut que «d'une manière apparemment inégalée par rapport aux autres pays européens», l'article 49.3 «renverse la charge de l'initiative» de l'adoption d'un texte, «en prévoyant que les membres de l'Assemblée nationale doivent présenter et voter à la majorité absolue une motion de censure afin de rejeter la loi».
Il permet ainsi, selon elle, «dans certains cas», l'adoption d'une loi «sans une discussion réelle et approfondie de son contenu». Les auteurs de l'avis critiquent également le contrôle du recours au 49.3 par le Conseil constitutionnel. Ce contrôle, restreint au «strict respect de la procédure d'activation», «limite la garantie de suprématie du pouvoir législatif».
La Commission de Venise annonce cependant qu'elle procèdera à une «analyse comparative» des dispositifs qui permettent aux gouvernements «d'intervenir dans les pouvoirs législatifs des parlements» des autres pays européens, avant de publier ses conclusions définitives.
L'article 49.3, élaboré comme une réponse aux situations de blocage parlementaire observées sous la IVe République, fait régulièrement l'objet de critiques de la part de responsables politiques, y compris de la part de ceux qui y ont eu recours.
«Déni de démocratie»
En 2006, François Hollande, alors député de Corrèze et premier secrétaire du PS, avait fustigé le recours à ce dispositif pour faire adopter le CPE (contrat première embauche), parlant d'«un déni de démocratie».
«Le 49.3 est une brutalité, le 49.3 est un déni de démocratie, le 49.3 est une manière de freiner ou d'empêcher le débat parlementaire», avait-il assuré. Quelques années plus tard, durant son mandat présidentiel (2012-2017), le Premier ministre, Manuel Valls, y avait eu recours à six reprises. Ce dernier avait proposé, au cours de la primaire du PS en 2016, de «supprimer purement et simplement» le 49.3, «hors texte budgétaire», dénonçant ses «effets pervers».
Dans le même sens, un groupe de 60 députés issus de la Nupes a déposé en mars une proposition de loi constitutionnelle «pour un article 49 respectueux de la représentation nationale», visant à supprimer l'article 49.3 de la Constitution.
Le Conseil de l'Europe, qui siège à Strasbourg, réunit les 46 États signataires de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Ses différentes instances publient régulièrement des rapports et avis consultatifs: en mars la commissaire aux droits de l'homme de l'institution, Dunja Mijatovic, avait tancé l'"usage excessif de la force» envers les manifestants par les forces de l'ordre dans le cadre du mouvement social contre la réforme des retraites.
(AFP)