Je ne connaissais pas Dominique Besnehard. Je ne l’avais même jamais rencontré. Puis le hasard d’une conférence s’en est mêlé lorsque à la mi-août, l’inspirateur de «Dix pour cent» m’a contacté pour participer à un débat consacré à la Suisse, au Festival du cinéma francophone d’Angoulême. Sacré moment. Canicule côté pile dans cette belle ville de l’ouest de la France. Intimité unique avec quelques vedettes montées sur scène à ses côtés pour un «karaoké» d’anthologie.
Vous allez dire que je déraille et que je ferai mieux de parler de son livre? Juste. Mais voilà? Dominique Besnehard est, dans «Le dictionnaire de ma vie» (Ed. Kero) comme il est lorsqu’il vous rencontre. Direct. Etonnant d’humilité pour un agent qui connaît le Tout-Paris du cinéma, et même au-delà. Grand professionnel, surtout, lorsqu’il règle chaque détail du festival en marge d’un dîner devenu déjanté au fil des «hits» des années 80…
Dominique Besnehard, entretien à Angoulême
Ce livre-là ne règle pas de comptes. Ou si peu. Dominique Besnehard, agent des stars françaises les plus connues, lance juste quelques piques à ceux qui furent ou sont encore ses protégés. Dommage? Peut-être, car la méchanceté, dit-on, fait aussi partie du star-system et les spectateurs que nous sommes, devant le grand écran, aiment toujours que leurs idoles redeviennent, par leurs défauts, de simples êtres humains.
Mais tant pis. Ce dictionnaire est d’abord celui de ses passions. Besnehard aime le cinéma comme personne. Il a beaucoup aimé aussi. Homosexuel assumé et rieur, il nous conte avec retenue ses aventures, y compris sa première fois dans une chambre de bonne du XVIIe arrondissement de Paris. Ou quelques nuits d’amour balkaniques, achevées dans un hôtel de Trieste, face à l’Adriatique.
Ceux qui aiment aussi le cinéma retrouveront là un décor digne de Claude Sautet, ce réalisateur français qui savait si bien exalter les passions ordinaires. Besnehard a des amis. Des fidèles. Des passions. Il n’a jamais vraiment compris que Marlène Jobert, son actrice fétiche, choisisse de prendre la poudre d’escampette et de quitter la scène pour s’occuper de ses filles dont l’actrice Eva Green. Il adorait le dandy Jean-Claude Brialy, aussi radin que séduisant. Il se torture encore pour saisir la douleur qui poussa au suicide le météore Patrick Dewaere. Vous aurez compris, à lire ces lignes, que Dominique Besnehard fut surtout l’agent d’une génération d’acteurs et d’actrices. Son cinéma est celui des années 1980-2000. Sa nostalgie est assumée, racontée, épicée de souvenirs.
Une minute et puis plus rien
L’on se dit toujours qu’une minute, dans une vie d’artiste, peut faire la différence. Ce dictionnaire le prouve, et son histoire la plus touchante est sans doute celle de cet acteur devenu délinquant, incarcéré, puis sorti de prison avec son aide et retombé dans les affres de la drogue jusqu’au suicide. La vie n’est pas du cinéma.
Il faut lire Dominique Besnehard lorsqu’il raconte Jeanne Moreau, disparue en 2017. «Une voix inimitable, grave et rauque, presque grumeleuse par moments. Presque une marque déposée […] Elle distribuait les bons et les mauvais points d’une manière péremptoire». Le grand écran n’est plus devant nous. Il est écrit en petites lettres, imprimées sur ce papier que l’auteur dit tant regretter. L’on ne défend pas des acteurs et des actrices sans prendre, peu à peu, leurs habitudes. Le monde de Dominique Besnehard est celui du réel qui se transforme en fiction, du quotidien qui devient éternel par la grâce d’une scène, d’un sourire ou d’une étreinte. Ce dictionnaire est une passerelle. Il nous démontre, avec sincérité, que le meilleur des films est celui qui vous transforme. Parce que l’on y a cru. Parce qu’il allume en chacun d’entre nous la petite étincelle de l’éternité.
A lire: «Dictionnaire de ma vie» de Dominique Besnehard (Ed. Kero)