Des juges d'instruction parisiens ont ordonné mardi un procès qui s'annonce retentissant contre la ministre Rachida Dati, l'une des principales figures du gouvernement français, et l'ancien tout-puissant patron de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, pour corruption et trafic d'influence.
Les deux mis en cause contestent les accusations dans ce dossier instruit depuis 2019 à Paris et aux lourds enjeux pour la politique française : Rachida Dati, ex-ministre de la Justice et actuelle ministre de la Culture, 59 ans, est l'un des poids lourds du gouvernement du Premier ministre François Bayrou et une potentielle candidate de la droite pour ravir à la gauche la mairie de Paris, où elle est déjà maire du très chic VIIe arrondissement.
Le procès pourrait toutefois se tenir après les élections municipales, prévues en mars 2026, a indiqué une source judiciaire à l'AFP. La date précise du procès devrait être fixée lors d'une première audience prévue le 29 septembre. «Nous allons faire appel dès aujourd'hui de cette décision», ont déclaré à l'AFP les avocats de la ministre, Olivier Baratelli et Olivier Pardo, qui ont vainement tenté dans un précédent recours de faire jouer la prescription des poursuites. Rachida Dati «poursuit son travail au gouvernement», a indiqué l'entourage du président Emmanuel Macron.
900'000 euros de Renault-Nissan
Elle a été inculpée en juillet 2021. Connue pour son franc-parler et son culot, Rachida Dati, qui a aussi été pour la première fois ministre sous la présidence de droite de Nicolas Sarkozy (2007-2012), considère ces faits comme prescrits et a multiplié, en vain, les recours pour mettre fin aux poursuites. «Des recours sont toujours pendants mais ne font pas obstacle à ce que les magistrats instructeurs rendent leur ordonnance de fin d'information», a souligné la source judiciaire.
Les juges ont donc ordonné à son encontre un procès pour recel d'abus de pouvoir et d'abus de confiance, corruption et trafic d'influence passifs par personne investie d'un mandat électif public au sein d'une organisation internationale, le Parlement européen. Concrètement, elle est soupçonnée d'avoir perçu 900'000 euros entre 2010 et 2012 pour des prestations de conseil consignées dans une convention d'honoraires signée le 28 octobre 2009 avec RNBV, filiale de Renault-Nissan, alliance alors dirigée par Carlos Ghosn, mais sans avoir réellement travaillé, alors qu'elle était avocate et députée européenne (2009-2019).
Les investigations ont cherché également à déterminer si cette convention d'honoraires avait pu servir à masquer une activité de lobbying au Parlement européen, interdite à tout élu. Rachida Dati a par ailleurs été accusée début juin par l'hebdomadaire Nouvel Obs et l'émission d'investigation Complément d'enquête d'avoir perçu 299'000 euros de GDF Suez quand elle était députée européenne, sans en déclarer la provenance au Parlement européen. Elle réfute ces accusations qu'elle juge «diffamatoires». Le quotidien Libération a en outre affirmé mi-avril qu'elle avait omis 420'000 euros de bijoux dans sa déclaration de patrimoine.Rachida Dati a rétorqué n'avoir «rien à régulariser».
Procès au Japon pour Ghosn
Actuellement en fuite au Liban, Carlos Ghosn, 71 ans, est visé depuis avril 2023 par un mandat d'arrêt international dans ce dossier, et sera quant à lui jugé pour abus de pouvoirs par dirigeant de société, abus de confiance, corruption et trafic d'influence actifs, dans un dossier où l'entreprise Renault s'est constituée partie civile. Lui aussi conteste l'ensemble des charges. Contactés, les avocats de l'homme d'affaires n'ont pas répondu dans l'immédiat. De leur côté, ni Renault ni non avocat Kami Haeri, n'ont souhaité commenter à ce stade.
Carlos Ghosn, qui possède les nationalités libanaise, française et brésilienne, a été arrêté fin 2018 au Japon où il devait être jugé pour des malversations financières présumées quand il était à la tête de Renault-Nissan. Il a trouvé refuge au Liban fin 2019 après une fuite rocambolesque du Japon, caché dans un gros caisson de matériel audio pour échapper aux contrôles à l'aéroport.
Il fait également l'objet d'un autre mandat d'arrêt depuis 2022 dans des investigations d'envergure, toujours en cours, à Nanterre, près de Paris, notamment pour abus de biens sociaux et blanchiment en bande organisée en lien avec le distributeur omanais Suhail Bahwan Automobiles.
Rachida Dati riposte
Rachida Dati a dénoncé mardi une "procédure émaillée d'incidents" et mis en cause certains magistrats qui, selon elle, «marchent» sur les droits de la défense.
«J'accable des magistrats qui refusent de faire leur travail selon le code de procédure», a-t-elle affirmé sur le plateau de LCI, déclarant également qu'elle ne «renoncerait sur rien», ni à son poste de ministre, ni à ses ambitions pour la mairie de Paris.
La ministre a reçu en cela le plein soutien du ministre de la Justice Gérald Darmanin qui a souhaité «ardemment qu'elle soit maire de Paris» en 2026. «Il y a un problème avec la justice», a estimé celle qui est avocate de profession et fut Garde des sceaux, disant s'exprimer pour la première fois publiquement sur cette affaire. «Je ne vais pas me résigner. Ils essayent de me mettre un genou à terre, je ne vais quand même pas mettre le deuxième».
«Je demande des actes, on me les refuse, j'ai demandé des confrontations, on me les refuse. Toute la procédure a été émaillée d'incidents», a poursuivi Rachida Dati, combative et documents à l'appui. «Certains instrumentalisent de manière un peu honteuse» ce dossier, a-t-elle déploré, alors que ses adversaires politiques appellent à sa démission.
«Je ne suis pas condamnée, il y a un principe de présomption d'innocence», s'est-elle défendue lors de cet entretien d'une trentaine de minutes, au cours duquel elle a balayé l'idée d'aller en prison pour cette affaire. «Ca ne m'effleure pas du tout». Rachida Dati «poursuit son travail au gouvernement», a indiqué l'entourage d'Emmanuel Macron..