Cette Coupe du monde des clubs n’a qu’un défaut majeur: elle arrive bien trop tard. Dans un monde idéal, elle devrait exister depuis plusieurs décennies et avoir la même importance que la Coupe du monde, la vraie, celle qui fait s’arrêter la planète de tourner pendant un mois tous les quatre ans. Là, il faut bien l’avouer, cette compétition débarque un peu à l’improviste, sans avoir eu le temps de s’installer, et, s’il a bien fallu trouver un créneau pour l’imposer, celui-ci fait forcément des malheureux. Ce Mondial des clubs empiète sur la Gold Cup et l’Euro féminin, et a fait se rallonger la saison des clubs européens qualifiés, ou a fait débuter la saison suivante plus tôt, au choix.
Beaucoup de paramètres sont discutables dans cette compétition, mais pas sa pertinence. Voir s’affronter les meilleurs clubs du monde, en garantissant un certain équilibre entre les continents, est une très bonne idée et une injustice enfin réparée pour tous les clubs qui subissent, année après année, la domination de l’Europe du football. La Coupe du monde est la plus belle compétition sportive de tous les temps, le trophée le plus prestigieux à remporter pour un sportif, à égalité avec une médaille olympique (ne me parlez pas de Super Bowl, par pitié), et il n’y a aucune raison pour que la Coupe du monde des clubs soit moins excitante.
Moitié vide ou moitié plein?
Pourtant, je suis le premier à l’admettre, les stades ne sont pas pleins pour cette première édition, mais j’ai tout de même été frappé par plusieurs articles publiés récemment, y compris sur notre site, parlant de stades «à moitié vides». Je ne vais pas me lancer dans un cours de physique ou de philosophie, mais une autre manière de considérer la chose serait de les voir «à moitié pleins». J’ai notamment assisté à Monterrey-Inter, avec plus de 40’000 personnes dans le gigantesque Rose Bowl, où une place sur deux était occupée. Alors, moitié vide ou moitié plein?
Les 15’000 supporters du club mexicain ont fait un boucan formidable, ils étaient heureux d’être là et de voir leur équipe préférée rivaliser avec un géant du football européen. Le moment était beau, le stade joyeux et festif, l’ambiance sympa. D’autres matches ont attiré beaucoup moins de monde, d’autres bien plus, à l'image de Boca-Bayern ce vendredi à Miami, l'une des plus belles ambiances vécues dans un stade depuis des années. Et alors quoi? Faut-il condamner cette compétition, qui est loin d’être parfaite, mais vient (enfin!) rééquilibrer un peu les forces entre les différents continents?
Oui, le déséquilibre existe
Je sais bien qu’elle a des effets pervers, cette Coupe du monde des clubs, et qu’elle creusera encore un peu plus l’écart entre les clubs qui y participent et les autres, notamment en Afrique. Les millions veut pleuvoir dans les caisses des Mamelodi Sundowns, et ce n’est pas tout le championnat sud-africain qui en bénéficiera, comme en Corée du Sud, comme ailleurs. Mais tout de même: diffusée gratuitement (l’inscription prend littéralement une minute sur DAZN, même un manchot comme moi y est parvenu), cette compétition vient apporter un peu de lumière sur des clubs qui étaient condamnés jusqu’alors à rester dans l’ombre de l’Europe. Et c’est justement là que je trouve le continent européen mesquin, peureux et replié sur lui-même.
Arrêtez avec le mot «exotique» par pitié
Au lieu de célébrer cette ouverture et de s’en servir comme force, l’Europe du football dénigre ce qui ne lui ressemble pas, réclame Liverpool et Barcelone à la place de ces clubs «exotiques» («exotiques» pour qui, d’ailleurs? Quel affreux mot, au passage) et s’inquiète de voir les millions pleuvoir en direction des autres continents. Mais de quoi ont peur les dirigeants et les fans de foot en Europe, au juste? De perdre 1% de leur hégémonie? De perdre quelques contrats de sponsoring? En vérité, ceux qui critiquent cette compétition par dogme sont peureux, étroits d’esprit et repliés sur eux-mêmes. Tout l’inverse des valeurs dégagées par cette Coupe du monde des clubs.
L’Europe, en plus d’être peureuse, est lâche: pendant des années, les clubs européens ont fui la Coupe Intercontinentale, trop risquée sportivement, avant de la tuer pour ne plus prendre le moindre risque contre un Boca, un São Paulo ou un River Plate. La lâcheté déguisée en supériorité. Et à force de phagocyter l’entier des ressources du football mondial, l’Europe l’a asséché: moins de stars ailleurs, des championnats locaux désertés, un fossé qui se creuse… et voilà que Gianni Infantino vient avec ses grosses pattes et ses dollars casser ce beau schéma, ou en tout cas essayer. Là, forcément, ça couine, ça geint, ça dénigre.
Les Européens jouent plus? C'est faux
Ah, et une dernière chose: ceux qui se plaignent d’un calendrier trop serré, avec une avalanche de matches à regarder et à jouer, j’ai deux remarques pour vous. La première, c’est que, sur une saison, ce ne sont pas les clubs européens qui jouent le plus. Sur les douze derniers mois, les clubs à avoir joué le plus de matches dans le monde sont Flamengo (78) et Botafogo (73), loin devant, par exemple, le Real (6e, 62) et l’Inter (7e, 59). Les Européens, contrairement à une idée reçue, ne sont pas ceux qui jouent le plus, mais ce sont ceux qui se plaignent le plus fort (tout en n’oubliant pas d’encaisser l’argent au final).
Et deuxième remarque: ce calendrier ne concerne qu’un infime pourcentage des joueurs professionnels. Demandez à un joueur de Montpellier, Stade-Lausanne-Ouchy ou Lecce s’il a trop joué cette saison. La réponse sera non. Les top-clubs qui travaillent bien, comme le Paris Saint-Germain, sont déjà en train de trouver des solutions, en adaptant les programmes physiques de chacun de leurs joueurs, afin de leur permettre de partir en vacances dans de bonnes dispositions. Les autres, avec leur effectif XXL, devront s’y mettre aussi et s’adapter, car cette Coupe du monde des clubs a toute sa place dans le calendrier. On y revient: son seul tort est d’être arrivée trop tard. Bien trop tard.