Vögele, Jelmoli, Nike…
Ces commerces que vous ne verrez plus dans la rue

Vögele, Jelmoli, Go Sport, Nike…Nombre d’enseignes ont basculé en ligne, ou ont fermé parce que dépassées par l’e-commerce. Un phénomène qui a refaçonné le paysage des villes autant que le marché du commerce de détail.
Publié: 08.05.2023 à 07:08 heures
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Dernière mise à jour: 29.06.2023 à 10:04 heures
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André, marque emblématique qui a dominé le marché de la chaussure pendant des dizaines d'années, connaît de grandes difficultés depuis le début des années 2000.
Photo: AFP

Il y a un mois sortait en salles le film «Air», qui retrace comment, en octobre 1984, Nike a signé le contrat historique avec Michael Jordan qui allait rendre cette marque iconique. Mais 40 ans plus tard, les vitrines de nombreuses villes n’exposent plus de chaussures Nike: les baskets incontournables des cours de récré sont au mieux disponibles en quantités limitées chez certains distributeurs comme Foot Locker. En effet, Nike a décidé de tout miser sur l’e-commerce et le consommateur est vivement encouragé à commander ses paires en ligne.

Pour l’heure, les modèles du rival Adidas occupent les places libérées dans les vitrines des rues commerciales, mais le groupe allemand vise à atteindre 50% de ventes en ligne d’ici 2025. Nike conserve certes quelques boutiques, mais les Nike Shops se font rares. Celui de Genève est une petite surface avec peu de choix et pas toutes les pointures, tandis que sur la région de Lausanne, on ne trouve que l’outlet d’Aubonne. Il faut se rendre dans les métropoles comme Paris ou Londres pour trouver de grands magasins Nike, la présence physique étant devenue un luxe.

Les enseignes suisses ne sont pas épargnées

En Suisse, des enseignes locales ont disparu pour de bon sous la pression phénoménale de l’e-commerce, qui s’est accéléré avec le confinement de 2020. Vögele Shoes a cessé son activité fin 2022, 100 ans après sa création. L’enseigne n’aura pas de seconde vie en ligne. Guillaume Morand, propriétaire de la chaîne de magasins suisse Pomp It Up et Pompes Funèbres, parle d’une véritable «révolution silencieuse du marché de détail suisse qui voit, année après année, la disparition des enseignes helvétiques les plus renommées». Il se souvient qu’à son apogée, Vögele Shoes comptait plus de 350 magasins en Suisse.

«Vögele était en concurrence directe avec le groupe Ochsner, qui appartient à l’allemand Deichmann (enseignes Ochsner, Ochsner Sports, Dosenbach et Snipes) pour devenir le leader du marché. Vögele Shoes et Ochsner rachetaient pendant les années 2000 tous les anciens chausseurs qui avaient des problèmes, poursuit le patron de Pomp It Up. Avec l’arrivée d’internet, un acteur de cette taille était de trop pour le petit marché suisse, et c’est Deichman-Ochsner qui a remporté la bataille.»

Zalando sort grand gagnant

La pandémie ayant donné un énorme coup d’accélérateur aux achats sur internet, les enseignes ont voulu s’adapter aux habitudes des consommateurs en 2020 et 2021, et celles qui ont pu le faire ont fortement basculé vers une offre en ligne. Mais dans ce domaine, ce sont les plus gros acteurs qui s’en sortent le mieux. «Ce sont les purs acteurs du e-commerce qui ont raflé quasiment toute la mise, observe Guillaume Morand, et en particulier l’Allemand Zalando.»

Les Suisses sont particulièrement friands des achats sur Zalando, encore plus que les Allemands. «Avec 1,7 milliard de francs de chiffres d’affaires réalisé en Suisse en 2022, Zalando représente une dépense moyenne par habitant 200 francs en 2022, souligne Guillaume Morand. C’est un succès énorme, qui explique aussi la disparition de multiples enseignes en Suisse. Certains clients de Zalando se plaignent alors du manque de choix dans les villes suisses!» Le Lausannois dénonce, chez Zalando, «le taux de retours de marchandises exorbitant de 60%, parce que c’est gratuit».

Les clients suisses de Zalando ont retourné 55% des marchandises en 2022: sur un total de 30 millions de paquets envoyés depuis l’Allemagne, 16 millions sont repartis. En raison de cette mauvaise habitude, les commerçants, qui font à la fois de la vente en ligne et ont une présence physique avec des loyers et des salaires suisses, perdent généralement de l’argent et se voient contraints de réduire leurs coûts fixes en fermant des magasins.

Autre groupe typiquement suisse, le Zurichois Jelmoli fermera tous ses magasins d’ici à 2024, sur décision de son propriétaire, le promoteur Swiss Prime Site. Lui-même précurseur de la vente par correspondance en 1910, Jelmoli aura été vaincu par les équivalents modernes de la vente en ligne que sont Zalando ou Amazon, 112 ans plus tard.

Une révolution qui ne touche pas que les habits

Et tandis que Pfister Meubles et Interio ont été rachetés en 2019 par un groupe autrichien, qui a maintenu la marque Pfister mais vise à augmenter sensiblement la part des ventes de meubles en ligne, les magasins Manor sont, eux aussi, en pleine réflexion. Le groupe basé à Bâle, lui aussi sous pression du commerce en ligne, veut accélérer la distribution multicanale en augmentant la part des achats effectués sur internet. «Cela fait des années que Manor a changé de métier, constate Guillaume Morand. De détaillant suisse, il est devenu un acteur global, propriétaire et diffuseur de grandes marques internationales.»

Le propriétaire, Maus frères, a en effet acquis depuis une dizaine d’années les marques Lacoste, Gant, Aigle et The Kooples. «En parallèle de ces investissements massifs, Maus Frères a loué des surfaces à d’autres fournisseurs ou détaillants comme Sephora, la Fnac, Decathlon et Aeschbach, afin de limiter la prise de risque et les pertes financières au maximum, devenant plutôt un acteur immobilier.»

Clairement, le marché du commerce de détail n’est plus national, mais globalisé, uniformisé au niveau mondial et dominé par les géants du net et les mêmes enseignes multinationales qui restent encore dans toutes les villes (H&M, Zara, Guess…). Mais ces enseignes aussi veulent vendre davantage en ligne. Depuis 2020, Zara, H&M et Uniqlo ont décidé de réduire leur parc de magasins dans le monde. Partout, le mot d’ordre est en effet de réduire les coûts fixes et de s’orienter vers Internet. Même si ces marques ont encore des magasins, la stratégie est claire: Zara ferme 1200 boutiques dans le monde pour investir dans la vente en ligne, tandis que H&M ferme 250 magasins.

La France logée à la même enseigne

Dans le même temps, on a aussi vu disparaître plusieurs enseignes françaises qui avaient pignon sur rue, dont certaines en Suisse romande, et qui ont été dépassées par la concurrence en ligne: Camaïeu, Kookaï, Gap, Go Sport, Pimkie et San Marina. De même, la marque André a tiré sa révérence, après avoir dominé le marché européen de la chaussure depuis des décennies. Une marque branchée comme George V avait une boutique à l’avenue George V à Paris, qui vient de fermer il y a quelques mois. Ses créations se trouvent exclusivement en ligne, et sont en partie distribuées à Genève par la boutique Tagger.

La Redoute, quant à elle, a connu un meilleur destin, qui est largement passé par Internet. Cédée en 2013 à ses employés pour un euro symbolique par la famille Pinault, elle a vu ses ventes en ligne exploser les années suivantes et abandonné son catalogue pour devenir un pur player internet. En 2018 les Galeries Lafayette ont acquis près de 50% de la Redoute, puis le 100% en 2023. Ce sont aujourd’hui les Galeries Lafayette qui peinent grandement à affronter la concurrence d'Internet et le bouleversement des habitudes de consommation.

Finalement, regrette Guillaume Morand, qui n’a pas raté une seule minute de ce grand basculement vers le digital, «la fermeture de dizaines de milliers de boutiques indépendantes à travers le monde aboutit à tout acheter dans une petite dizaine de méga-plateformes en ligne. Quelle tristesse… Les consommateurs vont-ils se réveiller un jour?»

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