«Pour moi, il est important de savoir que la maison continuera d’être gérée comme elle l’est aujourd’hui, c'est-à-dire dans le respect de l'environnement et des personnes.» Propriétaire d’un petit immeuble à Köniz (BE), Johanna Richner, une retraitée de 73 ans, a décidé de le léguer à Casafair par voie de testament.
Créée en 2023, cette fondation a pour but d’acquérir des biens immobiliers afin d’en promouvoir une gestion plus durable et plus axée sur l’intérêt des locataires. Membre de l’association Habitat Durable, à l’origine de la fondation, la Bernoise a ainsi voulu s'assurer que l'édifice et ses habitants échapperaient le plus longtemps possible aux lois du marché.
Les legs passent en principe aux descendants ou aux conjoints, qui disposent de «réserves héréditaires» leur revenant de droit. Certains propriétaires choisissent toutefois de remettre une partie de leurs biens à des tiers par testament. D’autres n’ont de toute façon pas d’héritiers à qui transmettre leur bien. Dans de tels cas, il est par exemple possible de léguer l'ensemble de son patrimoine à des fondations, des associations ou des œuvres caritatives en accord avec ses valeurs.
«J’ai hérité de mes parents d'un immeuble d'habitation, explique Johanna Richner. La question était alors de savoir ce que j'allais en faire. J’aurais pu y habiter normalement et me servir des autres locataires comme de vaches à lait, mais je ne trouvais pas ce projet très exaltant.» À la place, la septuagénaire a donc décidé de créer, il y a huit ans, une communauté d’habitation attentive à l'écologie, au sein de son immeuble. Aujourd’hui, elle y vit avec huit autres personnes, toutes retraitées ou proche de l’âge de la retraite.
Chacun dispose de son propre appartement, mais l’immeuble compte aussi une grande salle commune où les habitants partagent bien souvent leurs repas et peuvent loger des invités. L'aspect social est aussi primordial: «Nous avons aussi un appartement, qui est le plus petit et dont le loyer est vraiment très bas, que nous réservons toujours pour quelqu'un qui aurait du mal à trouver un logement. »
Loyers abordables
«L'association Habitat Durable est également orientée vers l’écologie et l’énergie durable, tout comme l'étaient mes parents. Pour moi, il est essentiel que les locataires puissent, eux aussi, bénéficier d’une certaine sécurité en sachant que l'immeuble continuera à être géré de la même manière après mon décès. Certains ont quitté de beaux appartements pour venir s’installer dans la communauté et je souhaite vraiment qu’ils n’aient jamais à partir contre leur gré, raconte Johanna Richner. Comme je n'ai pas d’enfants, cet immeuble devrait passer à mes frères et sœurs si je disparais avant eux. Mais ils sont tous plus âgés que moi et aucun n’a d’enfant. Il y a donc de grandes chances pour que l’immeuble soit repris par la commune. Et là, on ne peut pas savoir ce qu’elle en ferait.»
Selon la fondation Casafair, beaucoup d’associations ne disposent pas forcément des capacités nécessaires à gérer des immeubles. Elles peuvent se montrer réticentes à l’idée de recevoir des dons sous forme de patrimoine immobilier plutôt que de liquidités. En outre, rien ne garantit qu’une propriété léguée à une association ne se retrouve pas infine sur le marché immobilier classique, où elle serait alors exposée à la spéculation et au renchérissement des loyers.
«Nous n’avons pas vocation à nous enrichir par le biais des loyers: les montants prélevés auprès des locataires correspondront au prix coûtant du logement. L’un des objectifs fondamentaux de notre démarche est de soustraire les habitations à la spéculation immobilière et à l’envolée des prix», souligne Joël Desaules, membre du conseil de fondation de Casafair et responsable pour la Suisse romande.
La pénurie de logement s’accompagne en effet d’une flambée du prix des loyers: +30% entre 2000 et 2021, selon le cabinet de conseil immobilier Cifi. C’est nettement plus que la progression des salaires sur la même période.
Difficile de savoir dans quelle mesure cette initiative permettra de lutter contre ce phénomène et offrir de véritables alternatives aux habitants du pays qui peinent à se loger à un prix abordable. «Toute démarche allant dans le sens de loyers moins chers nous semble bonne à prendre, estime Joël Desaules. Le simple fait qu’une offre alternative existe pourrait déjà exercer une pression à la baisse sur les prix du marché.»
Une gestion écologique et durable
La cherté du logement locatif n’est d’ailleurs pas la seule ligne de front sur laquelle la fondation Casafair souhaite mener bataille. L’association dont elle émane, Habitat Durable, se mobilise aussi pour une gestion écologique et durable du parc immobilier. Renforcement de l’isolation thermique, pose de panneaux solaires, réutilisation de matériaux dans une perspective circulaire, protection des sols et de la biodiversité sur la parcelle, de nombreux aspects doivent être envisagés dans le cadre d’une gestion durable, en accord avec nos principes.
Une démarche qui a contribué à convaincre Johanna Richner. «Tous les habitants de l’immeuble tiennent beaucoup aux espaces verts, certains passent d’ailleurs beaucoup de temps au jardin. C’est un peu notre oasis de verdure, et le préserver nous permet de demeurer proches de la nature.»
Réconcilier durabilité et loyers modérés n’est pas toujours évident. Avant d’assumer la responsabilité d’un bien, la fondation Casafair «évalue méticuleusement la faisabilité des conditions imposées par le propriétaire, explique Joël Desaules. Il se peut que nous soyons amenés à refuser la propriété d’un immeuble, du moins dans un premier temps.
C’est notamment le cas si nous estimons que les conditions exigées par le propriétaire sont difficiles à tenir ou qu’elles se traduiraient par une remise en question de nos principes en matière de durabilité ou d’équité envers les locataires.» Et l’avocat neuchâtelois d’ajouter: «De nombreux immeubles d’habitation peuvent faire l’objet de travaux de rénovation qui pourront garantir un logement écologique sans pour autant renchérir les loyers outre-mesure.» Pour financer ses activités, la fondation Casafair peut en outre compter sur une collaboration avec la Banque alternative suisse (BAS), une institution qui partage ses valeurs.
Un objectif écologique
Dans son immeuble, datant des années 1950, Johanna Richner a justement pu compter sur les conseils de Casafair pour améliorer l’efficience énergétique. «Nous allons installer un nouveau chauffage plus écologique cet été», se réjouit-elle.
À terme, la fondation ambitionne de séduire de nombreux propriétaires désireux de léguer leurs biens dans une optique écologique et sociale. Pour l’instant, le bilan reste relativement modeste: seule une poignée d’intéressés ont d’ores et déjà pris contact en vue d’un éventuel legs. «Il est clair que céder un bien immobilier à un tiers plutôt que de le transmettre à ses proches est une décision qui ne va pas de soi pour tout le monde, et c’est parfaitement compréhensible, concède Joël Desaules, mais l’important est que l’alternative existe pour ceux qui le souhaitent.»
De son côté, Johanna Richner se veut optimiste. «Je constate que beaucoup de gens commencent à reconsidérer leur rapport à la propriété foncière, et à se rendre compte de l’exploitation et de la spéculation qui en découlent. J’espère que cette tendance va durer! En tout cas, j’en ai fait le vœu dans mon testament.»
En collaboration avec Large Network