Le 12 juillet 2022, l’euro est tombé à parité avec le dollar, une première depuis l’introduction de la monnaie unique il y a vingt ans. Si son cours est quelque peu remonté durant l’été, il a ensuite replongé fin août pour passer en dessous de la barre du 1 dollar, si bien qu’un euro s’échangeait à la mi-octobre contre 0,97 dollar.
S’agit-il d’une chute de l’euro ou d’une hausse du dollar? Pour Martin Eichler, chef économiste du cabinet de conseil BAK Economics à Bâle, ce sont les deux à la fois: «D’une part le dollar s’apprécie non seulement face à l’euro mais aussi face à d’autres devises (comme le franc suisse, le yuan chinois ou encore le dollar australien, ndlr) et d’autre part, l’euro baisse lui aussi sur plusieurs tableaux.»
Outre-Atlantique, la Réserve fédérale, communément appelée la «Fed», a clairement indiqué qu’elle cherchait à contenir l’inflation en relevant les taux d’intérêts. Rassurés par cette politique monétaire, les investisseurs se sont tournés vers le marché américain, entraînant une forte demande en dollars sur le marché des changes et, en conséquence, l’augmentation du cours du billet vert.
En zone euro, les mesures pour contrer l’inflation ont été plus poussives et tardives. «La mission de la Banque centrale européenne (BCE) est plus délicate que celle de son homologue américaine, car elle concerne l’ensemble de la zone euro, une mosaïque d’économies relativement diverses et dont certaines sont plus sensibles aux resserrements monétaires. En cela, les Etats-Unis ont l’avantage d’être un bloc homogène», précise Martin Eichler. Dépendante du gaz russe, l’Europe apparaît aussi rudement fragilisée sur le plan énergétique, ce qui freine inévitablement son activité économique.
La situation risque de durer au moins jusqu’à la fin de l’année prochaine. En effet, la différence entre les taux d’intérêt de part et d’autre de l’Atlantique s’étant agrandie, avec des taux bien plus élevés côté américain, le dollar pourrait même se renforcer encore davantage durant les prochains mois. «Le retour à un taux de change de l’ordre de 1 euro pour 1,10 ou 1,15 dollar, fourchette dans laquelle il a évolué pendant plusieurs années, n’est pas envisageable au vu des prévisions pour l’année à venir», estime Martin Eichler. En revanche, la BCE semble avoir regagné la confiance des investisseurs après sa décision, fin octobre, de resserrer encore sa politique monétaire en augmentant les taux d’intérêts de 0,75 points, à 1,5%, entraînant un léger rehaussement du cours de l’euro.
Conséquences pour l'économie suisse
L’écrasante majorité des matières premières, comme le pétrole, le gaz, les céréales ou les métaux s’échangent en dollars sur les marchés mondiaux. Si le cours du billet vert augmente, le prix des matières premières grimpe en conséquence. «En Suisse et en zone euro, la vigueur du dollar pèsera sur les entreprises qui consomment le plus de matières premières. En revanche, les entreprises exportatrices de biens d’équipement et de hautes technologies, moins gourmandes en matières premières, pourraient tirer leur épingle du jeu car, du fait de l’appréciation du dollar, leurs prix deviennent plus compétitifs par rapport à ceux de leurs concurrentes américaines.»
Par ailleurs, le franc suisse n’a pas échappé aux aléas qui agitent le marché des devises. «Depuis plusieurs années, le franc suisse se situait entre le dollar et l’euro sur le marché des changes, aujourd’hui il se déprécie face aux deux devises. C’est une bonne nouvelle pour les exportateurs suisses, mais cela ajoute de l’eau au moulin de l’inflation, car un franc suisse faible est synonyme d’inflation importée.» Cependant, le cours du franc suisse avait atteint de tels niveaux qu’une légère dépréciation comme celle-ci n’est pas dramatique: «Jusqu’à récemment, les investisseurs ont eu une appétence excessive pour le franc suisse, en tant que monnaie refuge, si bien que la dépréciation à l’œuvre en ce moment devrait être considérée comme un retour à la normale.»
Baisse de la demande attendue cet hiver
Au-delà du taux de change, la demande en produits suisses sera un enjeu crucial dans les mois à venir. Or, les perspectives économiques en zone euro, premier marché d’exportation des entreprises suisses, sont très mitigées. Il est donc attendu que cette demande diminue : «Du fait que les exportations suisses évoluent surtout dans une concurrence de qualité et non dans une concurrence de prix, la vigueur de la demande est nettement plus déterminante que le taux de change.»
La dépréciation du franc suisse face au dollar et la croissance anémique attendue dans la zone euro ne devraient-elles pas pousser les exportateurs suisses à se tourner davantage vers les Etats-Unis et l’Asie? «Il se peut qu’on assiste à un léger revirement des exportations hors de la zone euro, mais les perspectives économiques aux Etats-Unis et en Chine invitent, elles aussi, à la prudence. La lutte contre l’inflation menée par la Fed ralentit l’activité économique outre-Atlantique. En Chine, la politique zéro Covid entraîne également un fléchissement de la croissance. Dans un tel scénario, la demande extra-européenne ne suffira pas à compenser le manque à gagner dû à la chute de la demande dans les pays voisins.»
Contrairement à de nombreuses économies du monde, la Suisse devrait échapper à la récession cet hiver, mais les perspectives pour son économie demeurent en demi-teinte du fait de la situation à l’échelle mondiale.
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