«Le succès d’un entrepreneur dépend de sa capacité à rebondir après un coup dur.» Cofondateur de la start-up Rovenso, spécialisée dans la robotique et qui a déposé le bilan à l’automne 2022, Thomas Estier affiche une sérénité assumée face à ce qu’il considère comme une étape malheureusement courante dans la carrière d’un entrepreneur. L’ingénieur déplore bien sûr la fin de l’aventure, mais cherche à en tirer des leçons constructives.
3,4 millions d’investissements perdus et des pertes personnelles pour Thomas Estier qui oscilleront sans doute «entre 100’000 et 200’000 francs, en comptant la mise de départ». C’est le triste tableau laissé par la faillite de Rovenso.
«Sans prise de risque, il n’y a pas d’innovation»
Pourtant, son avenir s’annonçait prometteur. La spin-off de l’EPFL avait mis au point des robots autonomes pouvant notamment effectuer des patrouilles de sécurité sur des sites sensibles, comme les abords d’un aéroport ou d’installations industrielles. La start-up était passée par la Chine, s’était capitalisée auprès d’un investisseur américain et, une fois installée dans le canton de Fribourg, avait réussi à décrocher des contrats avec, entre autres, le gestionnaire du réseau électrique français RTE ou le géant du cuivre allemand Aurubis.
Mais une succession d’événements a tout chamboulé: pandémie de Covid-19, pénurie de puces électroniques et de conducteurs, mais aussi une hausse des taux d’intérêt refroidissant les investisseurs. Le cocktail a été fatal à la jeune pousse suisse. «Bien sûr, nous aurions pu mieux anticiper la vague de complications qui se dressait devant nous, concède Thomas Estier, mais un entrepreneur est habitué à ne pas avoir les moyens de ses ambitions en permanence. Sans prise de risque, il n’y a pas d’innovation. Aujourd’hui, je préfère canaliser mes pensées sur tout ce que nous avons accompli en tant qu’entreprise.»
Le trop-plein fatal
Après des années de calvaire, le célèbre pâtissier Philippe Guignard commence à remonter la pente. «En 20 ans de métier, j’ai enchaîné les succès et je n’ai jamais raté une prestation.» L’artisan vaudois ne s’en cache pas, sa passion pour la pâtisserie l’a emmené bien plus loin que ce qu’il aurait pu imaginer lorsqu’il a découvert sa vocation: il s’était bâti un petit empire dans les années 1990, avec des succursales à Orbe, Yverdon, Neuchâtel, Lausanne, Montreux et à la vallée de Joux, et assumait alors pleinement sa notoriété, du moins en apparence.
Car, en coulisses, les problèmes s’accumulaient: erreurs de gestion, trop-plein d’ambition, ego mal maîtrisé… Les raisons sont multiples et complexes, mais pour Philippe Guignard, une chose est sûre: elles étaient le résultat d’un burn-out non diagnostiqué. «Lorsqu’on dirige une entreprise, il faut être en pleine possession de ses capacités. Quand on les perd, tout finit par s’écrouler, soupire-t-il. Cela peut arriver à n’importe qui.»
Pour la star de la pâtisserie romande, la chute sera longue et l’atterrissage douloureux: son groupe fait faillite en 2014 et les pertes dépassent les 10 millions de francs. En 2018, sa villa située dans le Nord vaudois est saisie et en 2020, il est condamné en appel à trois ans de prison, dont six mois ferme, pour escroquerie.
Trouver des soutiens
Philippe Guignard ne cherche guère à s’apitoyer sur son sort. Sa vie a pourtant été profondément marquée par sa faillite et ses démêlés avec la justice. Son mariage n’y a pas survécu. «Ressasser le passé ne sert à rien. Bien sûr, il faut apprendre de ses erreurs, mais sans oublier qu’il est beaucoup plus facile de juger ses actes avec des mois ou des années de recul. Ce qui est fait est fait. L’important, c’est d’aller de l’avant.»
Que ce soit de vieux amis de la période antérieure à son succès ou des relations amicales construites au fil de sa carrière, les soutiens n’ont pas été de trop. «À l’ouverture de mon procès, l’un de mes amis m’a dit: 'Ça va être l’enfer, mais tu vas t’en sortir.' Il avait raison: j’ai tout perdu, à commencer par ma famille, mais je retrouve peu à peu la force de remonter la pente.»
Philippe Guignard se raccroche aussi à ceux qui l’ont inspiré, dont Bernard Tapie. Le Vaudois ne tarit pas d’éloges pour l’homme d’affaires français disparu en 2021 qui avait atteint des sommets malgré un parcours semé d’embûches. «Il s’en était sorti après avoir encaissé de sacrés coups bas. Cela me rappelle que je ne suis pas le seul.»
Assumer publiquement
Thomas Estier n’a pas hésité à annoncer sa faillite sur LinkedIn: «En plus de faire preuve de transparence avec mon réseau, cela m’a permis de mieux encaisser le coup. Les nombreux témoignages de soutien suscités par ce post m’ont remonté le moral. J’ai pu constater que les gens se souvenaient de nous et de ce que nous faisions.»
Annoncer publiquement un dépôt de bilan, c’est aussi admettre que cette issue amère doit être envisagée par chaque entrepreneur, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Mais Thomas Estier assure ne pas avoir craint les réactions: «Même en Suisse, le sujet est de moins en moins tabou.»
Se remettre aux affaires rapidement
Pour continuer sur une dynamique positive, il vaut mieux se remettre rapidement à pied d’œuvre, estiment les deux chefs d’entreprise. Pour Thomas Estier, il est tout de même recommandable de s’autoriser quelques semaines de repos «pour se ressaisir émotionnellement et accorder un peu de temps à ses proches». L’essentiel est de ne pas douter de soi. «Un entrepreneur retrouvera relativement facilement un poste en lien avec son domaine de spécialité. Pour ma part, je siège au conseil consultatif de deux sociétés de robotique.»
En parallèle, rien n’empêche d’envisager un nouveau projet et de commencer à s’y atteler. L’ingénieur admet par ailleurs déjà travailler à sa prochaine création. Mais ne faudrait-il pas tempérer ses ambitions après avoir essuyé un revers? «Absolument pas. Je reste entrepreneur et, à ce titre, la faillite a été une étape, mais certainement pas la fin.»
Après plus d’un an en service de psychiatrie, Philippe Guignard s’était annoncé guéri et prêt à remettre la main à la pâte. Il a ouvert le tea-room Maison Guignard à Bulle en avril 2022 et emploie «une petite dizaine de personnes». Le projet a pu voir le jour grâce à la confiance de trois investisseurs privés. «Ce nouveau départ me donne la force de me lever tous les matins, se réjouit-il, galvanisé par l’exercice de sa passion. L’établissement est sur de bons rails, même s’il faut toujours faire preuve de patience avec les nouvelles affaires.»
En collaboration avec LargeNetwork