Milka, Toblerone, Sugus, UBS…
Ces marques 100% suisses ne le sont en fait pas du tout

Toblerone, Milka, UBS, Swiss... De nombreuses marques jouent sur leur histoire et les codes du «swissness», tout en appartenant à des actionnaires internationaux. Que leur reste-t-il de Suisse? Tour d’horizon.
Publié: 20.06.2023 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 11.07.2023 à 16:57 heures
La marque Toblerone appartient à Mondelez, un géant américain basé à Chicago.
Photo: Keystone
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Myret ZakiJournaliste Blick

UBS est-elle suisse? Et Toblerone? Et la compagnie aérienne Swiss? Après trois décennies de globalisation, nombreux sont les fleurons helvétiques et les marques qui symbolisent la suissitude, mais qui n’ont pourtant pas d’actionnaires helvétiques, ni de managers du cru, ni d’ingrédients locaux, ni même, parfois, une présence sur sol helvétique.

Dernièrement, on apprenait que le lapin de Pâques de Lindt & Sprüngli était exclusivement fabriqué dans l'usine allemande de Lindt, ce qui révèle l’écart entre la perception et la réalité industrielle des fabricants. Si la législation Swissness de 2017 met des limites à l’usage des codes de la suissitude, le public s’y trompe souvent et reste croché au symbole et à la mémoire. Aperçu de quelques cas emblématiques de fleurons toujours moins suisses.

Toblerone et Milka sont américains

Qu’est-ce qu’il y a de plus «suisse» qu’une tablette de chocolat Milka? Tout. Car on se doute rarement qu’il s’agit d’un produit américain fabriqué en Slovaquie. Marques historiquement suisses, Milka, comme Toblerone, sont tombées il y a 30 ans, comme leur créateur neuchâtelois Suchard, dans l’escarcelle du géant américain Kraft Foods. Plus tard, en 2012, le spin-off Mondelez international, basé à Chicago, les a reprises dans son giron. Mondelez appartient à 9% au fonds d’investissement américain Vanguard, suivi du géant BlackRock (7,3%).

Au sein de Mondelez, les symboles suisses que sont Toblerone et Milka côtoient des marques aussi internationales qu’Oreo, Cadbury ou Côte d’Or. Le reste est marketing. Et sur ce plan, les deux enseignes helvétiques ont su utiliser leur histoire et les codes de la suissitude à leur profit. Jusqu’à certaines limites.

Toblerone, qui a longtemps arboré l’image du Cervin, fabriquait depuis 100 ans ses chocolats à Berne. Mais depuis un an, les triangles chocolatés aux éclats de nougat sont en partie fabriqués en Slovaquie, tout comme Milka et Suchard. Globalisation oblige, les multinationales troquent volontiers un pays où le salaire moyen est de 5720 euros par mois, contre un autre à 970.

Cette délocalisation partielle a forcé Toblerone à remplacer le Matterhorn par un sommet plus générique: le Cervin est considéré comme une indication que le produit vient de Suisse, au même titre que la croix suisse. Toblerone a aussi dû cesser d’inscrire «chocolat au lait suisse» sur ses emballages, tout comme Milka doit inscrire «chocolat au lait du pays alpin». Cette dernière n’en joue pas moins sur les codes de la suissitude. Incarnée par une vache de la race suisse Simmenthal, avec un relief alpin en toile de fond, la marque violette n’utiliserait pas exclusivement du lait de pays alpins. Preuve que la législation Swissness conserve tout de même une certaine souplesse.

Sugus appartient à Mars

Le destin du légendaire Sugus, invention neuchâteloise de Suchard, se décide aussi à Chicago. Parti chez Kraft Foods en 1993, le bonbon tendre a été racheté en 2005 par l’américain Wrigley, lui-même avalé en 2008 par Mars.

Aujourd’hui, les Sugus côtoient les Skittles et les M&Ms au rayon bonbons et dans les rapports annuels de Mars. La division confiseries, «Mars Wrigley», dispose d’usines aux États-Unis, en Angleterre, en Australie, en Chine continentale et à Taïwan. Dès lors, Sugus ne peut arborer de croix suisse, ni revendiquer de «swissness», si ce n’est celle de ses origines.

Comme l’Ovomaltine et le Cenovis (qui n’a plus d’ingrédients suisses), le mythe perdure: les trois font partie du Patrimoine culinaire suisse, un inventaire créé en 2004 par une association lausannoise. Mais cette dernière fait surtout référence à la tradition et à la mémoire, ce qui diffère des conditions légales requises pour arborer aujourd’hui les symboles du «swissness» et jouir des avantages commerciaux qu’ils confèrent.

Ovomaltine est british

Ovomaltine, invention 100% bernoise à base de malt d’orge, appartient au groupe bernois Wander, passé par Novartis avant d’appartenir, depuis 20 ans, au britannique Associated British Foods. Avec lui, Ovomaltine, Isostar et Caotina ont traversé la Manche. Il faut dire qu’Ovomaltine était déjà très connu et apprécié des Britanniques, au point que Wander avait fortement atténué les origines suisses dans sa communication outre-Manche.

Aujourd’hui, la production d’Ovomaltine continue de se faire à Berne pour le marché européen. Pour le marché asiatique, les produits sortent des usines du propriétaire britannique, en Thaïlande et en Chine. Pour nombre de groupes internationaux, devoir utiliser plus des trois quarts d’ingrédients suisses réduirait nettement les marges bénéficiaires. C’est aussi le cas de Cenovis.

DSM-Firmenich, à 65,5% néerlandais

Visant toujours plus de taille critique, de grands groupes emblématiques de la Suisse, et dans ce cas de Genève, s’unissent avec des partenaires hors de Suisse, rendant leur lien plus ténu avec l’Helvétie.

En 2007, Serono, l’ex-fleuron de la biotech genevoise était racheté par le géant allemand Merck. En 2012, à peine cinq ans plus tard, Merck Serono fermait son site au bout du Léman. En 2023, c’est le fleuron genevois de la chimie Firmenich qui a fusionné avec le géant néerlandais DSM, qui possède désormais 65,5% de l’entité fusionnée, contre 34,5% pour Firmenich.

Le nouveau siège est situé en Argovie et non plus à Genève et le groupe est coté à la Bourse Euronext à Amsterdam. Les membres de la famille Firmenich deviennent minoritaires dans la nouvelle entité aux ambitions de champion planétaire et sont trois Suisses sur douze membres internationaux au conseil d’administration. Le management actuel est néerlandais (CEO) et international (membres du comité exécutif). Une autre marque dont l’identité suisse se fondra dans un ensemble beaucoup plus international.

UBS en mains d’instits étrangers

En mars 2023, Credit Suisse, une banque bicentenaire au bord de la faillite, a été absorbée par un autre acteur bancaire suisse, UBS. À l’origine, le S dans UBS fait référence à la Suisse. Mais à qui appartient UBS aujourd’hui? À de gros institutionnels américains principalement, qui ensemble détiennent 14,4% du capital de la grande banque, selon le rapport annuel de 2022.

En premier lieu, le géant BlackRock, qui capte 5,23% du capital, suivi de Dodge & Cox, Massachusetts Financial Services Company et Artisan Partners (chacun a 3%). Vient ensuite la banque centrale de Norvège, avec 3%.

Au total, ces gros investisseurs institutionnels divulgués par le rapport possèdent 17,4% d’UBS. Étant donné que les actionnaires restants détiennent tous moins de 3% chacun (seuil en dessous duquel il n’est pas nécessaire de divulguer la participation), et que l’action est cotée à la Bourse suisse et au New York Stock Exchange, l’actionnariat est très international et fragmenté, mais n’est pas majoritairement suisse. Par ailleurs, au sein de la nouvelle direction et du conseil d’administration d’UBS, moins de 30% des membres sont de nationalité helvétique.

Swiss Air Lines est allemand

Un jour symbole par excellence de la suissitude, la compagnie aérienne nationale est aujourd’hui la filiale d’un groupe allemand. Swiss International Air Lines appartient à l’allemande Lufthansa, première compagnie aérienne d’Europe, dont le siège est à Cologne. La nouvelle compagnie Swiss est née en 2005 sur les décombres des vieilles Swissair et Crossair, qu’a racheté leur grande sœur d’outre-Rhin. L’actuel CEO de Swiss, Dieter Vranckx, est belge, entouré d’un comité exécutif composé de hauts cadres venus de Lufthansa.

Le conseil d’administration actuel de Swiss, qui dispose de son propre siège social à Bâle, est quant à lui à majorité suisse. Malgré une autonomie apparente de Swiss, le dernier mot en ce qui concerne la filiale suisse revient à Cologne. Lufthansa est cotée à la Bourse de Francfort. Elle compte un actionnaire significatif dans son capital, l’Allemand Kühne Aviation, qui détient 15% du capital, selon le rapport annuel de 2022.

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