Le bilan des deux derniers mois reste mitigé: le bitcoin évolue toujours sous son plus haut historique. Est-ce le signe avant-coureur d’une nouvelle baisse du marché des cryptomonnaies?
Adrian Fritz: Pour l’instant, il s’agit surtout d’une phase de consolidation. Le bitcoin, comme les autres cryptomonnaies, manque d’un nouvel élan. Les bonnes nouvelles – comme l’arrivée de nouveaux fonds d’investissement en crypto ou les récentes baisses de taux d’intérêt – ont déjà été prises en compte par les marchés. Après la réunion de la banque centrale américaine, une simple déclaration prudente de Jerome Powell a suffi à faire baisser le bitcoin. La période de stabilisation devrait donc durer encore un peu avant un éventuel rebond.
En Amérique, les investisseurs privés ont déserté le marché des cryptos. Est-ce problématique?
C’est intéressant, car on observe le même phénomène en Suisse, même si nous ne disposons pas de chiffres précis. De manière générale, les petits investisseurs n’ont jamais vraiment participé à la hausse du marché des cryptos de ces deux dernières années. Certes, une grande partie des fonds investis dans les ETF (les produits financiers liés au bitcoin) vient encore de particuliers, mais l’enthousiasme observé lors des précédents cycles a disparu.
Est-ce un bon ou un mauvais signe?
D’un côté, le marché devient plus mature et dominé par des investisseurs institutionnels. De l’autre, beaucoup espéraient un nouveau grand rallye haussier – ce qui ne s’est pas produit.
La fourchette récente du bitcoin, entre 103'000 et 125'000 dollars, reste-t-elle valable?
Le débat porte sur l’existence du cycle de quatre ans du bitcoin. Certains pensent que les nouvelles règles aux Etats-Unis, les ETF récemment lancés et les Digital Asset Treasuries pourraient déclencher un nouveau cycle haussier, malgré un contexte économique difficile. Mais si l’on regarde les deux ou trois derniers cycles, les corrections surviennent presque toujours au même moment, précis comme une montre suisse. Il sera donc intéressant de voir si ce cycle est rompu ou si la hausse continue plus rapidement que prévu, au-delà du sommet historique actuel.
Les corrections passées ont souvent été plus violentes qu’en octobre 2025. Cela peut-il se reproduire?
Nous ne le pensons pas. Bien sûr, il y aura toujours des baisses ponctuelles, mais elles ne devraient plus être aussi fortes que celle de 2021, quand le bitcoin est passé de près de 70'000 à 15'000 dollars. La fluctuation des prix du bitcoin diminue, notamment grâce aux ETF, qui apportent plus de liquidité sur le marché. Aujourd’hui, le bitcoin peut parfois être moins sensible aux variations que certaines actions technologiques américaines ou même que l’indice S&P 500. L’idée d’un bitcoin extrêmement instable devrait donc disparaître avec le temps.
Pour les altcoins comme Ethereum, Solana ou XRP, c’est l’inverse: les fluctuations restent fortes. Pourquoi?
On ne peut pas traiter tous les altcoins de la même manière. Pour les principaux, comme Ethereum ou Solana, les variations devraient se calmer à long terme, un peu comme pour le bitcoin. Mais pour la plupart des autres crypto-actifs jugés prometteurs, les fluctuations resteront importantes pendant un moment. Les risques sont plus élevés: manque d’acheteurs et de liquidité, infrastructures de marché limitées… et beaucoup d’altcoins se sont déjà effondrés. Tous ne survivront pas. Cela montre aussi que le marché se stabilise: aujourd’hui, les altcoins connaissent de petits mouvements basés sur des projets spécifiques, mais plus ces grandes envolées générales où chaque altcoin augmentait énormément.
Une grande partie des altcoins est donc vouée à disparaître?
Oui. Environ 99% des crypto-actifs ne sont pas faits pour les investisseurs et finiront par disparaître. Mais cela ne doit pas occulter les innovations intéressantes dans ce domaine: certains altcoins continueront de se développer. Dans l’ensemble, cependant, la plupart souffrent, et cette tendance devrait se poursuivre dans un avenir proche.
Certains, comme Chainlink, Solana, Tron ou XRP, s’en sortent bien. Est-ce parce qu’ils génèrent des revenus?
Oui, totalement. A long terme, ce sont les fondamentaux qui comptent. Même après des périodes de spéculation, les altcoins qui perdureront sont ceux qui génèrent réellement des revenus via leurs protocoles. C'est le cas d’Hyperliquid, Solana, Ethereum ou Chainlink: ils ont une vraie substance derrière eux.
Ethereum peut-il encore rattraper Bitcoin?
C’est difficile à dire, car Bitcoin et Ethereum ont des objectifs très différents. Ethereum, longtemps considéré comme l’enfant terrible des cryptos, a rattrapé une partie de son retard: de nombreuses institutions de Wall Street le voient désormais comme l’un des réseaux les plus solides pour les «smart contracts». Ethereum a aussi progressé sur la tokenisation et les stablecoins, deux domaines qui resteront importants. Ethereum et Solana devraient donc en profiter. Pour Bitcoin, on s’attend à un «catch-up trade» par rapport au prix de l’or: il se positionnera de plus en plus comme une réserve de valeur numérique. Mais il faut garder une perspective long terme.
Le bitcoin a gagné 50% sur un an. Une telle progression est-elle encore possible?
Les grands rallyes se font plus rares pour les cryptos établies, mais une hausse de 50% du bitcoin reste envisageable. Son adoption mondiale est loin d’être terminée. Pour ceux qui veulent se protéger de la dévaluation progressive du dollar ou de l’euro, le bitcoin apparaît comme une option incontournable. Les fonds fiduciaires perdent de la valeur à long terme, un facteur de plus en plus déterminant.
Le plafond de 21 millions de bitcoins joue-t-il un rôle?
Oui. Une réserve de valeur indépendante des systèmes centralisés attire de plus en plus d’investisseurs. A terme, un «supply squeeze» pourrait se produire, car la demande dépassera l’offre. Dans ce contexte, une hausse de 50% reste envisageable. A court terme, nous restons neutres et prudents, en raison de la phase de consolidation actuelle, mais aussi positifs pour l’année prochaine, jusqu’à fin 2026 et au-delà. Cette position n’a pas changé.