Quand tombe la facture de l’administration fiscale, vous faites la grimace? Le sentiment de trop sacrifier à l’État vous envahit? Et si vous n’aviez pas déduit tout ce que nous pouviez, et qu’il vous était possible de payer moins d’impôts en toute légitimité? D’après les experts fiscaux interrogés pour cet article, les oublis de déductions sont fréquents et peuvent avoir un impact significatif sur vos finances.
Pour commencer, les contribuables «oublient de collecter les justificatifs et c’est indispensable. Nous rappelons à nos clients qu’ils doivent conserver leurs factures et documents fiscaux tout au long de l’année», témoigne Donato D’Oria, fondateur de la fiduciaire Dideo à Lausanne.
Deux types de déductions
«Il existe deux types de déductions», rappelle Prasath Consalvey, administrateur Fiscalité & Comptabilité chez la Fiduciaire Artemio Conseils à Neuchâtel: les déductions organiques, ou professionnelles, à savoir les dépenses directement liées aux sources de revenus, et les déductions sociales, basées sur la capacité contributive (enfants à charge, frais de garde). «Dans la majorité des cas, constate-t-il, la plupart des gens oublient certaines déductions lorsqu’ils font eux-mêmes leur déclaration, en particulier au niveau des frais professionnels.»
Déduire les formations
De manière générale, les frais de déplacement et de formation sont souvent oubliés. Certes, en matière de frais de déplacement, certains cantons sont plus généreux que d’autres: «À Genève, ils sont plafonnés à 507 francs par année, rappelle David Alexandre Bernardet, associé à la fiduciaire DRP à Genève. Il faut travailler hors du canton ou faire des allers-retours de plus de 2h pour pouvoir déduire davantage.» Sur Vaud, en revanche, il n’y a pas de plafond pour les déductions de frais de transport. «Si vous vivez à Trélex et travaillez à Genève ou Lausanne, vous pouvez déduire les frais de voiture à 70 centimes le km, sur 240 jours. Idem pour les frais de repas.»
Prasath Consalvey compare avec son canton: «Quand bien même vous faites 10’000 km par an sur des allers-retours Genève-Neuchâtel, Genève n’acceptera que 500 francs de déductions, alors qu’à Neuchâtel, on peut déduire 15'000 francs de frais de déplacement.»
Autre exemple entre Vaud et la Suisse alémanique. Une famille habite à Lausanne, tandis que le père travaille à Zurich. «À cet effet, il loue un studio sur place du lundi au vendredi, illustre Donato D’Oria. Il revient les week-ends. Il peut déduire la location de ce studio, ou d’une chambre. S’il loue un appartement plus grand, le fisc acceptera la déduction d’une seule pièce, et déduira par exemple 1000 francs sur 3000 francs de loyer. Les frais de transport du logement zurichois jusqu’à son lieu de travail sont déductibles, de même que les frais, une fois par semaine, de son aller-retour entre Zurich et Vaud.
Les frais de repas
Concernant les frais de repas, lorsqu’on travaille dans le canton de résidence, ils sont plafonnés à 3200 francs par an dans tous les cantons lorsqu’on travaille à 100%, sauf pour les indépendants (lire ci-dessous) ou en cas de formation.
À cet égard, les frais de formation font partie des oublis fréquents. «Les frais de perfectionnement professionnel et ceux de reconversion sont déductibles», souligne Donato D’Oria. «Il faut avoir un CFC, et plus de 20 ans et il faut que ce soit non remboursé par l’employeur ou l’État. Ce n’est que la partie à votre charge qui est déductible.»
«On a le droit de déduire, dans tous les cantons, les frais facturés par la formation, le déplacement et le repas, ajoute Prasath Consalvey. Imaginons une formation qui se déroule tout un samedi. Je ne peux pas rentrer à midi. Il faut donc déduire les repas et le déplacement, et inscrire cette déduction sous la rubrique formation, puisque les frais de repas sont plafonnés à 3200 francs.»
La déduction maximale des frais de formation s’élève à 12'000 francs par année. Ce qui permet de déduire par exemple 6000 francs pour l’école et les examens, 2000 francs de déplacements dans un autre canton, les frais de repas (à 15 francs le repas), et les transports (à 70 centimes le km). Les frais d’hébergement peuvent aussi être déduits.
Autres déductions dans le contexte professionnel: «il ne faut pas oublier de déduire les jours de piquet avec intervention, notamment dans le corps médical», note Ludovic Montemagno, directeur chez Fidell Fiduciaire à Neuchâtel.
Dentiste en France: déductible
«Nombre de personnes ne connaissent pas leurs droits au niveau des prestations complémentaires, estime Ludovic Montemagno, qui a pu le constater en plus de 20 ans d’expérience. On oublie par exemple fréquemment les déductions de rente d’impotence ou de maladie telle que le diabète, la condition cœliaque ou l’ablation de l’estomac.» De son côté, Donato D’Oria relève que la déduction de la perte de gain pour maladie peut être oubliée: «ce sont tout de même 1500 francs par année.»
«Il faut également savoir qu'il est possible de déduire les frais de dentiste à l’étranger, notamment pour les Genevois qui se font soigner en France voisine. Il n'y a pas une territorialité des frais, explique David Alexandre Bernardet. Faire par exemple un détartrage ou l'extraction d'une carie chez un dentiste en France est déductible à Genève».
Déduire ce que l'assurance ne prend pas
«Frais dentaires, lunettes, appareils auditifs, orthophonie, tout ce qui n’est pas remboursé par l’assurance peut être déductible», confirme aussi Donato D’Oria à Lausanne. À noter que la déduction est possible une fois que ces frais dépassent le 5% du revenu imposable. Ainsi pour 100'000 francs, la limite se situe dès 5000 frs. «Ce qui dépasse sera déductible, selon Donato D’Oria. Les frais dentaires peuvent tout à fait se situer au-delà de 5000. Mais il faut avoir une prescription.»
En revanche, les séjours en cure qu’on a choisi de faire, à titre de confort, ne sont pas déductibles, sauf en cas d’affections telles que des rhumatismes ou problèmes d’articulations attestées par un médecin, qui nécessiteraient ce type de cure.
En outre, tous les frais liés à un handicap peuvent être déduits. «Changer de chaise roulante, avoir une installation spécifique à la maison peut être déduit, toujours dans le cadre de ces 5%, et qui n’est pas pris en charge par les assurances», explique l’expert lausannois.
Dépenses liées aux enfants
«Les frais de crèche ont souvent été oubliés, a observé Françoise Sapin, fondatrice et propriétaire de Fidusap Fiduciaire à Genève. Mais il faut y penser, d’autant plus que les limites ont été augmentées, tant au niveau fédéral que genevois.» «On a le droit de déduire les frais de garde pour les enfants à hauteur de 13'000 francs au maximum sur Vaud, indique Donato D’Oria. À savoir: si vous mettez votre enfant dans un camp de foot, cela ne pourrait pas être déduit sur Vaud, mais ce serait possible sur Genève. En effet, sur le canton du bout du lac, il n’est pas nécessaire que ce soit une garderie qui émette la facture. Cela dit, dans tous les cas, il faut qu’il soit établi qu’il s’agit bien d’une garde d’enfants.»
Autre domaine complexe en matière de déductions, les couples. Dans le cas des couples en concubinage ayant un enfant en commun, «quasi systématiquement la déduction est mise chez la mère, car le service des contributions l’inscrit automatiquement chez cette dernière. Or, nous pouvons choisir avec le revenu le plus haut de mettre l’enfant à charge et ceci a un impact énorme sur la perception, en cumulant les deux charges fiscales séparées», explique Ludovic Montemagno.
Pension ou quotient, pas les deux
Un cas d’actualité: les couples divorcés ou séparés. Pour les pensions, le modèle actuel est la garde partagée. Un des deux ex-conjoints verse une pension alimentaire. La personne qui paie peut déduire la pension mais pas le quotient familial. C’est là que se situe le malentendu, selon Donato D’Oria. «Les gens croient que s’ils ont les enfants à 50% chez eux, ils ont la moitié du quotient. Mais ce n’est pas le cas. S’ils versent la pension, ils ne peuvent pas déduire le quotient familial. La personne qui reçoit la pension sera quant à elle imposée sur la pension, mais va pouvoir déduire le quotient.»
Autre élément à avoir en tête, la rente d’orphelin pour enfant majeur. «Elle est quasiment toujours mise chez le parent survivant. Or en réalité, elle doit être portée en compte chez l’enfant majeur», souligne Ludovic Montemagno.
Philanthropie: jusqu’à 20%
Les dons aux institutions et aux partis politiques sont déductibles. «Vous pouvez déduire les dons à des institutions d’utilité publique, souligne Donato D’Oria, mais il faut respecter le minimum de 100 francs. En dessous ce n’est pas déductible. Vous pouvez déduire jusqu’à 20% de votre revenu net.»
Prévoyance libre déductible (mais pas partout)
À Genève et à Fribourg, on peut déduire les primes du 3ème pilier B (prévoyance libre) de sa déclaration fiscale, mais pas sur Vaud et Neuchâtel. Le 3ème pilier A (prévoyance liée) est quant à lui déductible dans tous les cantons. Sur Vaud, on peut seulement déclarer la valeur de rachat (c’est-à-dire la somme que vous pourriez récupérer en cas de retrait anticipé de votre 3e pilier libre).
Concernant le 2ème pilier, on peut déduire les rachats que l’on effectue. Fait moins connu, si on verse des cotisations volontaires à l’AVS, elles sont déductibles. Cela est valable aussi pour les personnes qui sont sans activité lucrative et qui versent à l’AVS pour compléter leur retraite, ou pour combler les éventuelles lacunes dans leur cotisation.
Mieux vaut déduire en 2 ans
Élément incontournable des déductions, les travaux d’entretien. Là, les pratiques cantonales diffèrent. Par exemple, Neuchâtel accepte de déduire uniquement la facture finale, tandis que Vaud déduit les acomptes, ce qui est plus avantageux. «Par exemple, en 2023, vous rénovez votre cuisine pour 20'000 francs, explique Prasath Consalvey. On vous facture un acompte de 10'000 francs pour 2023, et le solde en 2024. Sur Neuchâtel, vous ne pourrez déduire que les 20'000 francs de 2024. Alors que sur Vaud, vous pourrez déduire 10'000 en 2023, et le même montant en 2024, ce qui est fiscalement plus avantageux qu’une grosse déduction sur une seule année. C’est pourquoi on demande au client qu’il vienne voir la fiduciaire avant de planifier les travaux.»
Les frais de copropriété méritent des calculs plus précis. «Souvent les charges de copropriété ne sont pas suffisamment déduites, car on se base sur le forfait, estime David Alexandre Bernardet: souvent si vous calculez les frais effectifs, vous arrivez à des déductions plus élevées. Il est donc conseillé de calculer ces frais en détail pour la déclaration.»
En plus de la copropriété, sur Vaud, tout ce qui concerne le jardin n'est pas déductible. Sur Genève en revanche, c’est déductible, indique le fiscaliste genevois. «Si un jardinier tond votre gazon ou taille votre haie, vous pouvez déduire la facture.» À condition que le jardinier ne soit pas au noir…
Autour de l'immobilier
On peut également déduire les frais d’entretien d’immeuble. Chez les propriétaires d’immeubles à Genève, «la contribution immobilière est souvent oubliée», note Françoise Sapin. Un propriétaire immobilier qui occupe son bien peut demander une déduction forfaitaire. Et s’il loue son bien, il peut demander la déduction des frais effectifs engagés pour des travaux de réparation.
Plus généralement, pour les propriétaires de logements, «les rénovations déductibles concernent les dépenses qui visent à conserver la valeur de votre bien», souligne Donato D’Oria. «Si ce sont des éléments qui améliorent votre bien (remplacer du carrelage par du parquet, ajouter une climatisation, faire une pergola, construire une piscine), ce n’est pas déductible, précise le Lausannois. Seules les réparations et l’entretien sont déductibles.»
De même, tout investissement pour économiser de l’énergie et protéger l’environnement (panneaux solaires, photovoltaique, pompes à chaleur, isolation de la maison, triple vitrage) est déductible, ajoute Donato D’Oria. «Si pour une pompe à chaleur à 50'000 francs, l’État donne 7000 francs de subvention, seul ce que vous avez dépensé de votre poche sera déductible.»
Détruire et déduire
En outre, les frais de destruction en vue de reconstruire sont déductibles. Si un très vieux chalet encourt des frais de démolition, démontage, évacuation, élimination des déchets, la facture sera déductible, et pourra l’être sur deux périodes fiscales, ce qui sera avantageux.
Dans les cas plus rares, et pas valables dans tous les cantons: il existe, selon Donato D’Oria, une possibilité pour une personne propriétaire de son logement de demander une réduction de la valeur locative. Prenons l’exemple d’un couple retraité. L’un des deux décède ou se retrouve à l’EMS. L’autre, très âgé, se retrouve dans une maison de 200 m2 et n’a pas la santé ou la mobilité pour déménager. Cette personne peut invoquer au fisc qu’elle n’occupe pas toute la maison, et que certaines pièces sont inutilisées. La surface inutilisée peut être déduite de la valeur locative.
En revanche, pour les personnes qui ont la cinquantaine et dont les enfants sont partis, cette possibilité n’existe pas car les cinquantenaires peuvent aisément déménager dans des espaces plus petits.
Les leasings ne sont pas déductibles
«Au chapitre des dettes et des intérêts, rappelons qu’on peut déduire les intérêts des cartes de crédit, ainsi que la dette que vous avez au 31 décembre (crédit à la consommation, hypothèques), rappelle Donato D’Oria. En revanche, les leasings ne sont pas déductibles, ni les intérêts ni les mensualités. Par contre, un prêt à la consommation pour payer un leasing peut être déduit au titre de prêt à la consommation.»
Fait moins connu, en cas de retard de paiement des impôts, le fisc vous facture des intérêts. «Ces intérêts sont déductibles, de même que la dette fiscale», souligne David Alexandre Bernardet. La pénalité ou l’amende fiscale, en revanche, n’est pas déductible, au même titre que toute autre amende.
Les frais bancaires sont un autre élément souvent oublié. Tous types de frais bancaires sont déductibles: des frais de tenue de compte aux frais de gestion. «Ceux qui ont des portefeuilles de titres oublient souvent de déduire ces frais bancaires, frais de gestion et commissions de gestion», témoigne Françoise Sapin.
Ce qu’on ne peut plus déduire
Dans le cas des personnes divorcées, il était possible jusqu’à septembre 2022 pour une mère qui demandait une pension alimentaire de déduire les frais d’avocat liés à cette démarche, car cela rentrait dans les dépenses nécessaires à l’acquisition d’un revenu (la pension alimentaire). Mais le Tribunal Fédéral s’est prononcé contre cette pratique il y a un an, estimant que ces frais ne pouvaient pas être déduits, car il est difficile de les distinguer de ceux liés à la liquidation du régime matrimonial. Dès lors, c’est une facture de 15 à 20'000 francs qui ne pourra plus être déduite.
Les indépendants
«Les indépendants? Ils veulent tout déduire et ramènent trop de factures, plutôt que pas assez», estiment en général les fiduciaires.
Il est vrai qu’en matière de déductions, les indépendants ont une marge de manœuvre bien supérieure à celle des salariés. C’est pourquoi ils apportent à leur fiduciaire un amas de frais divers et variés, quitte à ce que celle-ci fasse le tri de ce qui est vraiment déductible. Les déductions des indépendants ne sont pas plafonnées comme un salarié dont les frais de repas sont limités à 3200 francs. Un indépendant, lui, peut aller dîner avec des clients pour 7000 ou 12'000 francs par année tant que cela est justifié.
On ne peut pas citer de manière exhaustive toutes les déductions qu’il peut effectuer. Le législateur a estimé que tous les frais qui sont justifiés commercialement sont déductibles, explique Prasath Consalvey. «Pour autant, une amende pour excès de vitesse qui se justifierait par l’urgence du travail d’indépendant ne pourra pas être déduite, précise l’expert neuchâtelois, car elle a un but punitif». Comme il le résume, le principe est le suivant: pour tout ce que le contribuable souhaite déduire, le fardeau de la preuve repose sur lui. Idem pour tout ce que l’administration fiscale n’accepte pas.