On pourrait penser que le réalisateur Luka Popadić est un peu stressé deux jours avant la sortie de son film «Echte Schweizer», en français «De vrais Suisses». Il arrive avec quelques minutes de retard à l'interview, non pas à cause de ses nombreux rendez-vous, mais parce qu'il a perdu sa datcha (ndlr: petite maison de campagne) à Belgrade. Elle a brûlé la nuit dernière. Mais l'homme de 43 ans prend la chose avec humour, et montre même des photos de la maison incendiée. Il revient sur les coulisses de son film, les raisons pour lesquelles il voulait documenter sur l'armée suisse. Interview.
Luka Popadić, pourriez-vous mourir pour la Suisse?
Oui.
Et pour la Serbie?
Sous condition. J'ai plus confiance en la Suisse qu'en la société serbe. La société suisse est très mature. Nous avons une grande cohésion sociale, la démocratie directe et un système politique qui fonctionne. Cela mérite d'être protégé. Et c'est pour cela que je donnerais ma vie.
Cela vous dérange-t-il qu'il n'y ait pas de secondos à la tête de l'armée?
Pour moi, c'est comme si, dans une équipe de football, on n'alignait pas 30% de ses joueurs. On se prive d'une chance. Mais ce problème ne concerne pas que l'armée. L'armée est un miroir de la société. Mais je pars du principe que mes enfants verront des officiers issus de l'immigration à la tête de l'armée.
Dans le film, les protagonistes s'expriment parfois de manière critique sur l'armée. Y a-t-il des gens qui n'osent pas s'exprimer négativement?
Oui, c'était une grande crainte des protagonistes. Pour être honnête, moi aussi. En tant que secondo, on ne veut pas se faire remarquer négativement sur un sujet comme l'armée. Surmonter ce problème a été un grand défi pour nous tous. Mais avec suffisamment de temps, d'ouverture et de confiance, nous y sommes parvenus.
Vous êtes le réalisateur du film. Pourquoi avez-vous décidé de passer devant la caméra?
Grâce à notre monteuse Katharina Bhend. Au début, je ne voulais pas du tout. Nous avions déjà une version sous-titrée sans mon histoire. Mais Katharina m'a convaincu de raconter pourquoi j'ai continué à travailler dans l'armée.
Vous racontez aussi la mort de votre mère. Était-ce difficile pour vous de partager quelque chose d'aussi personnel dans le film?
C'était un processus très difficile. Mais cela fait partie de ma vie, et chacun porte sa propre croix. L'armée m'a aidé à trouver un appui dans cette période difficile.
Le ton décontracté et les rires sont frappants.
Raconter le sujet avec un ton sérieux serait inintéressant.
Mais est-ce vraiment adapté au sujet? Aujourd'hui, avec la guerre en Ukraine, l'armée a une nouvelle valeur. Feriez-vous le film différemment aujourd'hui?
C'est une bonne question. Oui. J'ai commencé à tourner en 2016, la situation était très différente. En principe, je ne veux pas faire de films qui relèvent de la politique quotidienne. Aujourd'hui, je ferais probablement un film quelque peu différent du point de vue de la tonalité, mais cela ne changerait rien à la question posée. Le fait que l'on puisse aborder le sujet de manière aussi décontractée corrobore avec la neutralité de la Suisse.
Que voulez-vous dire?
L'Estonie et la Lettonie, par exemple, se trouvent dans une situation compliquée en ce moment. Les Estoniens ont une minorité russe de 25%. Ils sont tous astreints au service militaire. Notre neutralité sert aussi à la paix intérieure. On l'oublie souvent.
Que voudriez-vous que le public retienne de votre film?
J'espère que le film fera avancer un débat de société. J'espère aussi qu'il réconciliera un peu la gauche et la droite. Que la gauche se rende peut-être compte que l'armée n'est pas que de la merde et que la droite se rende compte que les «Suisses de papier» peuvent tout aussi bien être de vrais Suisses.