Selon lui, nous ne sommes pas prêts
Le milliardaire lausannois Thierry Mauvernay prédit 5 crises majeures

Nous faisons face à 5 crises majeures simultanées, met en garde le président de Debiopharm. Dans son dernier livre, l'homme d'affaires lausannois estime que nous devrons être moins individualistes, plus responsables, et gouverner sur des mandats plus longs que 4-5 ans.
Renouer avec un sens des responsabilités collectives va devenir impérieux, selon Thierry Mauvernay.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Il faut retrouver d'urgence un sens du collectif afin de faire face aux crises majeures qui se conjuguent. C'est le message de Thierry Mauvernay, président et unique actionnaire de Debiopharm, la biotech lausannoise, leader des traitements anticancer innovants. L'homme d'affaires vient de publier son deuxième ouvrage, «Face aux 5 révolutions actuelles, agissons vite et gagnons ensemble», aux éditions Le Cherche Midi. 

L'entrepreneur, créateur de startups et actionnaire de nombreuses entreprises y met en garde contre les 5 méga-bouleversements historiques simultanés qui nous attendent: climatique, technologique, géopolitique, sociologique et démographique. Tous sont entremêlés et s'impactent mutuellement. Face à ces ruptures d'une ampleur inédite, il s'alarme de l'individualisme aigu qui prévaut dans nos sociétés, et nous empêche d'y répondre efficacement L'autre problème est une gouvernance trop à court terme, qui n'est plus à la hauteur des enjeux. Entretien.

Dans votre livre, vous insistez sur le besoin d'être solidaires face aux crises qui s'entremêlent. Pourquoi?
Pour la première fois, nous faisons face à cinq révolutions majeures qui se conjuguent et nous forcent à envisager des changements de mode de vie radicaux. Nous sommes une toute petite planète, un grain de sable dans l'univers, qu'il faut se partager. Nous devons essayer de bâtir ensemble un monde vivable pour les 100 à 300 années qui viennent. Face à ces bouleversements, nous ne pouvons pas nous permettre d'être divisés. Si on «casse» cette planète, il n'y a pas de retour en arrière. Il n'y a pas non plus d'autre planète proche et habitable qui nous attend ailleurs, contrairement aux fantasmes entretenus à ce sujet. 

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La somme des intérêts particuliers ne fait pas une politique
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Parmi ces cinq révolutions, laquelle aura le plus d'impact, selon vous?
Ce sera la révolution climatique qui va le plus nous perturber, car elle va s'étendre sur une durée plus longue que les autres crises. A l'ère glaciaire, la planète était plus froide de 6°C qu'aujourd'hui. 6°C de moins, et on appelait cela «l'ère glaciaire». Dès lors, le réchauffement de 1,6°C que l'on connaît depuis la période préindustrielle et qui s’accélère ces dernières années, est colossal et risque d’être le début d’une nouvelle ère. Malheureusement, le changement climatique s'autoalimente. 

Un exemple?
Un climat sec provoque des incendies, des incendies provoquent des émissions de carbone, … et cet effet domino peut s'étendre sur 50'000 ans. Cela nous ramène à notre petite dimension.

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Nos démocraties ont besoin d’une éthique renouvelée
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Quel système de gouvernance serait plus adapté à ces multiples défis à venir?
Aujourd'hui, on vote pour des personnes dont le mandat sera de 4 ou 5 ans. Or, nous avons besoin d’une vision à très long terme qui s'étendra sur plusieurs années. Des décisions contraignantes devront être prises et nous avons un problème de délai. Il est difficile de bâtir quoi que ce soit en cinq ans, d’autant que les intérêts particuliers prédominent. Des décideurs devraient pouvoir dire: dans 20 ans ou 30 ans, nous souhaitons tel résultat et nous avons telle étape à atteindre.

Quels profils de leaders faut-il pour mener à bien cette tâche?
Il nous faudra des personnes capables de penser beaucoup plus à la communauté et au collectif et non au particulier. Cela implique de remettre le sens des responsabilités au centre. Nos démocraties ont besoin d’une éthique renouvelée. Nous avons besoin également d’une nouvelle forme de leadership et de gestion. 

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80% des études scientifiques ne sont pas correctement documentées. Une information fiable va devenir clé
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De quels ingrédients serait fait ce nouveau leadership?
Avant tout, le leadership doit gagner en légitimité, car cette légitimité permettra les transformations nécessaires. Des leaders doivent pouvoir créer d'autres leaders alors que précédemment, il leur était surtout demandé de créer des suiveurs. Il faut aussi rompre avec l'excès d’égoïsme et le déficit d’altruisme qui caractérise nos sociétés. Tout en acceptant d’avoir des échecs et de ne pas réussir du premier coup, essayons cette nouvelle voie responsable et collective. En partant de la juste information.

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La valeur de l'information est largement supérieure à la valeur de la décision.
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L'information n'est-elle pas juste?
Trop de fake news circulent. La question est: comment mobiliser les gens pour de grands chantiers si même l’information qui leur est communiquée est fausse et qu'il n'y a plus de consensus? Rendons-nous compte que 80% des études scientifiques ne sont pas correctement documentées. Une information fiable va devenir clé. Je pense souvent que la valeur de l'information est largement supérieure à la valeur de la décision. L'information précède donc la décision. Tout l'enjeu est là.

Est-ce que nous aurions pu anticiper ces chocs il y a des décennies?
Le changement n'est pas nouveau: Héraclite ou Socrate l'évoquaient déjà, il y a plus de deux millénaires. Cependant, nous sommes pris de court par la vitesse de ces changements qui est exponentielle. Là où des évolutions prenaient autrefois des siècles (comme les changements architecturaux), les ruptures technologiques récentes, par exemple, s'opèrent en quelques années, dépassant notre capacité d'adaptation immédiate. Aurions-nous pu anticiper? Probablement si l’on s’était tourné davantage vers le futur. Or très souvent, on se bâtit uniquement sur notre passé. 

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