A la rencontre des amis du Vaudois coupé en deux
«Cela faisait un an que Paulet se plaignait de sa locataire»

A Sainte-Croix, tout le monde connaissait celui dont la locataire, Française d’origine ivoirienne, est suspectée du meurtre. Tout aurait commencé par des loyers impayés, pour dégénérer en crime atroce. L’Illustré a rencontré les amis d’enfance de la victime.
Publié: 05:31 heures
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Dernière mise à jour: il y a 18 minutes
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De gauche à droite: Alain Cuendet, Etienne Chanbovey, Francis Haarpaintner, Claude-Alain Habegger. Assis devant, Andrey Bernard.
Photo: Blaise Kormann
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Myret ZakiJournaliste Blick

«Le Paulet»*. C’est ainsi que tout le monde l’appelait. «Le Paulet du Château». Ce résident de 75 ans du hameau du Château, dans la commune de Sainte-Croix, était connu de tous. 

D’où le choc, l’horreur et l’effroi suscités par la nouvelle de son assassinat, quand son cadavre a été retrouvé sauvagement mutilé, brûlé et sectionné en deux au niveau du tronc, le 1er novembre, à 140 km de là, à Fédry (F) en Haute-Saône. Ni à Sainte-Croix, ni à Fédry n’avait-on connu pareil crime, de mémoire d’homme. 

Le 4 novembre, un de ses copains de classe, Claude-Alain, publiait sa photo sur Facebook, en exprimant l’émoi indicible de ses amis d’enfance, lorsqu’ils ont su que «le cadavre coupé en deux», signalé par les médias depuis le 29 octobre, c’était lui. La nièce de Paulet avait rapporté sa disparition à la police depuis le 31 octobre. 

Soupçon de double incendie

La piste de l’ex-locataire de la victime s’est très vite imposée. Cette ressortissante française de 39 ans, née en Côte d’Ivoire, lui louait un appartement depuis deux ans au Château, et enchaînait les boulots chez des maraîchers des environs. Dernièrement, elle n’avait plus d’emploi. 

L’ami d’enfance de la victime, Claude-Alain, nous a confié le 4 novembre que ce dernier racontait l’avoir mise à la porte, affirmant qu’elle était «folle», ou «secouée», selon ses propres termes. «Cela faisait un an qu’il se plaignait de sa locataire», témoigne-t-il.

Soupçonnée d’avoir incendié le 2 novembre l’appartement qu’elle lui louait, et où se serait déroulé le crime, la suspecte a possiblement déjà mis le feu à une maison appartenant à la victime le 22 octobre. Ce premier incendie avait paru suspect: la maison avait brûlé d’un coup, sans cause externe évidente. C’était une vieille ferme dont Paulet avait hérité avec ses neveux, et qui n’était pas équipée d’électricité. 

Le 2 novembre, la police vaudoise a arrêté la Française à la douane de l'Auberson, et l’a placée en détention provisoire, alors qu'elle tentait vraisemblablement de quitter la Suisse pour fuir en Côte d’Ivoire. L’enquête suit son cours. Parmi les indices, un couteau a été retrouvé en France, dans la voiture de la prévenue, dont un morceau a été retrouvé logé dans la colonne vertébrale de la victime. 

Un passé de violence

Les employeurs de la suspecte ont témoigné dans la presse romande de son caractère colérique et instable. De même, une voisine du lotissement, où vivent une dizaine de résidents, a témoigné auprès de «24 heures» d’un échange violent avec la Française, qui l’a menée à porter plainte pour coups et blessures. Mais aucune personne interrogée n’imaginait que cela puisse en arriver là.

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Ce vendredi 7 novembre, le fidèle groupe de copains d’enfance de Paulet a rendez-vous au bistrot El Latino, près de la gare de Sainte-Croix. Tous ont 75 ans. Comme chaque premier vendredi du mois, depuis 45 ans, ils se retrouvent pour prendre l’apéro, avant d’aller déjeuner. Ce jour-là, nous les avons rejoints, afin qu’ils nous parlent de Paulet.

Comment une relation de propriétaire à locataire a-t-elle pu entraîner une telle horreur? Selon nos interlocuteurs, il s’agirait, au départ, d’une bête histoire de loyers impayés, même si de vastes zones d’ombre demeurent. «Elle ne payait pas ses loyers», croit savoir l’un des amis du défunt, pour qui c’est la cause évidente du conflit. Ses compagnons imaginent aisément que le ton aurait pu monter: Paulet avait son caractère et «ne se laissant pas marcher sur les pieds». 

Un deuil d’au moins 45 ans

Dans les instants qui avaient précédé sa mort, le mercredi 29 octobre, Paulet avait téléphoné à l’un des amis, Etienne, et lui a raconté que sa ferme avait brûlé. L’hypothèse est que sa locataire l’aurait ensuite fait venir dans son appartement, où le crime aurait été commis. Claude-Alain et Etienne se sont vus le dimanche 2 novembre, et ignoraient tout. «Jamais on n’aurait imaginé que Paulet venait de vivre ses pires heures». 

«
Paulet était costaud, il pesait dans les 100 kg, pour 1,80 m. Il serait étonnant qu’elle ait agi seule
Etienne, ami de Paulet
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Etienne craint qu’elle ne dise «qu’il l’a violée», alors qu’il n’est plus là pour se défendre. Toutefois, aucun de ses amis ne comprend comment la suspecte s’y serait prise: «Paulet était costaud, il pesait dans les 100 kg, pour 1,80 m. Il serait étonnant qu’elle ait agi seule». 

Les témoignages quant au caractère difficile et instable de la suspecte laissent penser à des problèmes d’ordre psychiatrique, ont-ils relevé, même si aucun n’a fréquenté directement la suspecte. L’un des compagnons de route de Paulet croit savoir par ailleurs que la Française a une fille, dont on ignore si elle a la garde.

«Salut les renards»

Aujourd’hui, c’est le deuil d’au moins 45 ans d’amitié qu’ils doivent faire. «Il nous disait: 'Salut les renards'». Un veuf ajoute: «Moi, il m’appelait tous les 15 jours depuis que j’ai perdu ma femme. Il était le seul à le faire». 

Près du parc voisin, se trouve le Collège de la gare: c’est là que ses contemporains ont tous fait leurs classes, tandis que Paulet, lui, est allé à l’école du Château, qui a fermé par la suite, et qu’il a rachetée pour y habiter. De cette région, il connaissait tout: il avait travaillé comme guide au Musée de la mécanique d’art et du patrimoine de Sainte-Croix (MUMAPS).

Ses amis sont unanimes: Paulet était très engagé dans la vie locale, que ce soit au niveau associatif ou politique. Jusqu’à ses derniers jours, ce célibataire endurci, «qui avait de temps en temps eu des copines suisses-allemandes», œuvrait comme mécanicien bénévole au Musée de l’aviation militaire à Payerne. 

Les amis du Paulet sont très émus de la perte de leur ami, qui les appelait «Les Renards».
Photo: Blaise Kormann

Egalement impliqué dans le monde sportif, il a été président du Marathon des Rasses (MARA), une course de ski de fond qui a lieu chaque année à Sainte-Croix. ll avait par ailleurs exercé, durant de longues années, des mandats d’assesseur auprès de la justice de paix, dans le domaine des tutelles.

Homme de fortes convictions

Mais sa passion, durant des décennies, a d’abord été la politique. Ses amis nous racontent comment ce septuagénaire a été conseiller communal des décennies durant, sous l'étiquette du Parti Radical d'abord, puis au PLR. 

Il siégeait encore au conseil de Sainte-Croix en 2022. Dernièrement toutefois, il se serait fâché avec ses camarades de parti. De fortes divergences d'opinion auraient entraîné son exclusion du PLR. «Il avait de fortes convictions», notent ses amis.

«
C'était un technicien hors pair dans la mécanique de précision, très reconnu, pas seulement dans le milieu industriel suisse, mais aussi en France voisine
Olivier Français, ex-conseiller national, ex-conseiller aux Etats et ex-municipal lausannois du PLR
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Parmi celles-ci figurait son combat contre les éoliennes. «Paulet» s’était engagé pendant plus de 20 ans contre les projets de parcs éoliens dans la région de Sainte-Croix. Il s'était, en outre, opposé à la pose d'antennes 5G près de chez lui.

Le Paulet conseiller politique

Invité fréquent dans la salle des pas perdus du Palais fédéral à Berne, il était conseiller d'Olivier Français, ancien conseiller national PLR. Lorsque nous l’appelons, Olivier Français nous fait part de son «choc», alors qu'il n’a appris la tragédie que trois jours après l’annonce. «Le personnage était très entier, c'était un technicien hors pair dans la mécanique de précision, très reconnu, pas seulement dans le milieu industriel suisse, mais aussi en France voisine», témoigne-t-il.

Concernant les divergences tardives qu'il a pu avoir avec le PLR, l'ancien député national confirme: «En effet, il n'aimait pas les éoliennes, et il existait quelques divergences au sein même des forces politiques de Sainte-Croix. Mais c'était un homme qui avait toujours le sourire. Cela est terrible de savoir qu'il a connu cette fin tragique, car il n'avait pas d'agressivité, même s'il pouvait avoir un vocabulaire un peu rude.»

Risque accru des propriétaires?

Le sort qu’a connu Paulet doit-il faire craindre à d’autres propriétaires d’être exposés à des crimes de cette ampleur de la part de leurs locataires? Les interlocuteurs que nous avons questionnés croient bien davantage à un incident isolé, dont ne peut être tirée aucune conclusion liée aux risques posés par les locataires en général. 

«
Si la cause d’un tel crime est un conflit entre locataire et propriétaire, cela peut être un citoyen lambda qui, d’un coup, bascule dans le crime, même si son casier était vierge. On le voit souvent dans les faits divers
Yvan Pahud, syndic de Sainte-Croix
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Pour Yvan Pahud, syndic de Sainte-Croix, il est difficile de prévenir de tels cas. «Si la cause d’un tel crime est un conflit entre locataire et propriétaire, cela peut être un citoyen lambda qui, d’un coup, bascule dans le crime, même si son casier était vierge. On le voit souvent dans les faits divers». Il estime qu’il faudrait savoir si la suspecte avait un casier judiciaire. «Si oui, il faudrait que les propriétaires puissent demander le casier judiciaire avant de signer les contrats. Mais dans le cas présent, on l’ignore».

A priori, aucun de nos interlocuteurs ne voit de raison rationnelle de craindre en général de louer ses biens, sur la base d’un fait divers. Comme l’explique Willy, un voisin et contemporain de Paulet, qui habite au Château, et qui est lui-même un policier à la retraite, «cela se passe très bien dans la majorité des cas.

Crise sécuritaire à Sainte-Croix

En revanche, les amis de Paulet rencontrés le 7 novembre ne sont pas satisfaits du niveau de sécurité à Sainte-Croix. «Nous n’avons quasi pas de police, confie l’un d’eux. La police est active durant les heures de bureau. Ensuite, lorsqu’on l’appelle, les agents sont à Yverdon et n’ont pas toujours le temps de venir jusqu’ici.» 

A cet égard, ils estiment qu’au poste de douane de l’Auberson, où la patrouille de gardes-frontière a intercepté la Française, «il n’y a personne la plupart du temps. La Française a pu aisément sortir le corps de la victime en voiture, les jours précédant son arrestation.» 

Nos camarades de table assurent aussi que trois cambriolages ont eu lieu la semaine dernière à Sainte-Croix, sans que la police n’arrive dans les temps: dans un bureau de tabac, au Lacet Vert (magasin de chaussures) et au restaurant Les Petites Roches.

Appartements loués aux services sociaux

Ils évoquent le manque de moyens de la commune. «Tout au plus avons-nous ici une gendarmerie qui s’occupe de contrôler les permis et de faire les alcootests, mais pour le reste, il faut appeler à Yverdon». Ils citent aussi le problème des «cas sociaux» envoyés par Lausanne, «parce que les loyers sont moins chers ici à Sainte-Croix».

«
Beaucoup de propriétaires peinent à louer des appartements. Alors, ils en louent aux services sociaux de Lausanne. Un tuteur envoie un locataire, qui par la suite laisse l’appartement en terrible état
Un ami de Paulet
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«Beaucoup de propriétaires peinent à louer des appartements. Alors, ils en louent aux services sociaux de Lausanne. Un tuteur envoie un locataire, qui par la suite laisse l’appartement en terrible état. Mais pas de problème, c’est Lausanne qui paie.»

Des amis très émus

Notre verre partagé arrive à son terme, et les amis de Paulet se lèvent pour aller déjeuner. «Cela nous a fait beaucoup de bien d’avoir pu parler de Paulet», nous dit Claude-Alain, une larme à l’œil, au moment de se quitter. «Il nous manque.» 

«De toute façon, corrige l’un des convives, il ne serait pas venu aujourd’hui: il n’aimait pas la chasse. Aujourd’hui c’est jour de chasse, nous allons chez Bichon, à la Brévine».

*Le défunt était une personnalité connue à Sainte Croix (VD). Sa notoriété ne dépassant toutefois pas la région, la rédaction a décidé de ne pas publier son nom complet et de le désigner uniquement par son surnom.

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