Benjamin Décosterd a fait un tabac avec ses chroniques sur Paléo. Une baffe par-ci, une claque par-là: la plume acérée, portée dans les plaies, l'humoriste a griffé six jours durant le vernis du plus grand open air de Suisse. A coup d'un texte par jour, publié sur le site de Blick.
Le verbe haut, les punchlines parfois sous la ceinture, le Vaudois est clivant, sans être blessant. Journalisme jugé complaisant avec l'organisation, Aya Nakamura, peaux pailletées des festivalières et festivaliers, Rosalia, la prog' qui recycle ses ex, les hippies en sarouel, la gauche inclusive: le trentenaire leur a fait mordre la poussière de la plaine de l'Asse. Pas suffisamment pour étouffer les rires, bien assez pour faire tousser les fans du festival nyonnais.
Connu du public romand pour ses interventions régulières dans les émissions «A bon entendeur» et «Les beaux parleurs» de la RTS, Benjamin Décosterd monte aussi parfois sur scène, lors d'évènements privés. Dans les pas de stand-uppeurs comme Thomas Wiesel ou Yann Marguet, avec qui il collabore.
Lundi, 11h30, café-restaurant de l'Evêché, Lausanne. Son dernier texte sur Paléo vient d'être diffusé. Bon vivant, ce mari de femme médecin prend un café et une eau gazeuse. Mais pas question de ravaler ses acides critiques distillées du 19 au 24 juillet. Interview au «tu» de complaisance, quelques heures après la clôture du grand raout.
T’as écrit toute la semaine sur les plateformes de Blick que tu détestais Paléo. C’est vrai?
Non, c'est faux. J'aime bien ce festival, mais les travers que j'ai critiqués dans mes chroniques existent, je les ai vécus. Sur place, mais aussi en tant que consommateur des médias. A Paléo, toute la presse est dithyrambique parce que tout le monde a des accréditations. Il y a assez peu de travail critique.
Plus que dans la critique, toi, t'étais dans la provoc'!
Le but n'était pas de polémiquer pour polémiquer. J'ai l'impression que, si les trucs que j'ai écrits ont été beaucoup lus, c'est parce que je pointais du doigt des choses que même les gens qui n'allaient pas à Paléo ressentaient. Ils voyaient ce manque de distance critique.
D'un autre côté, je comprends aussi que Paléo est une carte de visite pour la région et que c'est normal pour la presse de jouer un peu le jeu. Reste à savoir jusqu'où on veut y participer. Je ne suis pas sûr qu'on soit obligé de sucer les entraîneurs quand on est arbitre.
Tu t'es montré très acide face aux médias, mais aussi concernant la programmation. Entre Daniel Rosselat et les journalistes culturels, qui est-ce que tu abhorres le plus pendant Paléo?
Qu'est-ce que je peux dire sur la prog'... En fait, je ne suis pas un grand fan de concerts tout court. Donc, c'était un peu facile d'écrire dans mes chroniques que rien ne m'intéressait! (Rires) Cela dit, c'est super qu'ils aient eu Rosalia. Je ne la connaissais pas. J'étais vraiment un peu le boomer qui se disait: «Cette jeune musicienne, elle était sur TikTok depuis tout ce temps?!» C'était bien et c'était un grand coup.
Il y a quand même de la nostalgie après cette semaine nyonnaise?
Non. Il y a énormément de fatigue. J'ai juste fait mon boulot et je suis rarement nostalgique de mes semaines de boulot!
Et comment va ton foie?
Ça va. J'ai été beaucoup plus calme que quand j'y allais en tant que festivalier. A part vendredi soir, je crois, quand j'ai écrit ma chronique sur les paillettes. Tu ne peux pas être bourré, tu dois être concentré.
T'as un peu forcé le trait?
Dans des papiers comme ceux-là, il faut un peu exagérer. Parce que si je raconte vraiment la vérité, c'est chiant! La majeure partie du temps, j'étais seul derrière mon ordi à l'espace presse. Seul, puisque les journalistes étaient trop occupés à ne pas faire leur travail! L'écrit, c'est génial: je peux faire dire aux gens des trucs intelligents, ou faire croire qu'il s'est passé un truc. Ce que j'espère que tu vas faire avec cette interview!
(Rires) Je vais respecter ce qui est sur la bande enregistrée. Je reprends. C’est quoi la pire chose que t’as vécue ces six derniers jours?
Le concert des Black Eyed Peas... Et puis, là, ce lundi matin, au réveil, quand j'ai parlé pour la première fois (ndlr: son timbre est légèrement rauque). Avec cette voix, il faudrait que j'anime un podcast d'affaires criminelles non résolues! «1er janvier 93, Genève, quartier des Pâquis.»
«Bonjour Genève!» Comme Aya Nakamura. Sinon, une belle découverte?
Crème solaire! Ils ont l'air un peu «chtarbos». Mais quand ils ont dit au revoir aux gens, tu sentais qu'ils étaient vraiment émus. Pour eux, c'est Paléo! Ce n'est pas juste un festival en Suisse où tu vas jouer. C'est peut-être ce qui a manqué aux concerts de Rosalia ou Aya Nakamura, où le public était un peu absent de leur esprit.
Pour les plus petits, il y a un vrai enjeu d'être là, que le public ressent. Crème solaire, ils avaient l'air trop chou. Après, peut-être qu'humainement ce sont des merdes, je ne sais pas et je ne les croiserai jamais dans un squat.
Parce que vous ne fréquentez pas les mêmes squats.
Non, on ne fréquente pas les mêmes squats. Peut-être que ça s'est compris dans ma dernière chronique, dédiée à la Ruche (ndlr: scène dédiée au théâtre de rue) et ses hippies?
T'as reçu des messages de personnes de l'organisation?
Non. Enfin, si. J'ai reçu la newsletter SMS du service presse. Avec des expressions qui se voulaient «djeuns». C'était gênant.
Quelle est la pire critique que t'aies reçue?
Beaucoup de critiques n'étaient pas pertinentes. Simplement parce que les gens croient que je suis journaliste et confondent ce travail avec celui de chroniqueur. Les gens manquent beaucoup de distance. Si on prend un peu de recul, qu'y avait-il derrière mes chroniques? Il y avait une forme de sympathie: qui aime bien, châtie bien. Aussi, je me suis cassé le cul à écrire ça bien. C'est une forme de respect.
Après, on peut discuter: est-ce que l'infotainment (ndlr: mélange entre divertissement et information) est une bonne chose? Je n'en suis pas toujours sûr. Des fois, j'ai un peu l'impression d'être le machiniste du Titanic qui nourrit l'infotainment. Mais je ne me sentirai pas responsable quand on va se prendre l'iceberg. Je ne tiens pas le gouvernail.
Qui détestes-tu le plus entre tes fans et tes haters?
Les gens qui me suggèrent des vannes ou qui me demandent de caser le mot «chou de Bruxelles» dans une prochaine chronique. Ce n'est pas un karaoké, quoi! Mais voilà, je suis surtout content que les gens aient lu, parce qu'on n'arrête pas de dire que plus grand monde ne lit. Ce sont des minutes gagnées sur du divertissement où le cerveau a une part un peu moins active.
Par exemple, «Les Marseillais»?
Oui, c'est ça, je suis le dernier rempart aux «Marseillais» et à TikTok (il éclate de rire dans un élan d'ironie et d'autodérision). C'est un bon titre, ça! Plus sérieusement, ce n'est pas moi, c'est la lecture qui est un rempart. Et si les gens doivent ensuite activer leur sens critique pour réagir, c'est une deuxième victoire. C'est pour ça que j'aime bien provoquer. Même si l'équilibre est fin. Dans ma chronique sur les paillettes, ta préférée, j'étais la caricature de moi-même. Elle était très envolée, mais ça manquait de fond et de fil conducteur.
Tu nous as fait vivre le pire de Paléo. C'est quoi, le pire de Benjamin Décosterd?
Je n'aime pas le conflit et j'ai un côté langue de pute, par-derrière. Écrire des saloperies, c'est super: t'es pas obligé de les dire en face. Et après, tu peux dire: «Désolé, ça fait partie du jeu médiatique.» J'ai un peu ce trait-là dans la vie aussi. C'est aussi mon côté attachant. Je dirais que je suis... «attachiant» (ndlr: il se moque des personnes utilisant ce mot pour s'autodéfinir). (Rires)
Enfin, quand t'es indépendant, il faut quand même être sympa, en plus de respecter les délais et d'être fiable. Donc, c'est important d'être sympa. Mais on ne va pas finir là-dessus parce qu'on n'est pas dans une interview de Mister France.