L'aversion du parti conservateur n'est pas nouvelle. Au fil des années, Christoph Blocher n'a cessé de dire tout le mal qu'il pensait de la candidature de Berne au Conseil de sécurité de l'ONU. Au Parlement, le groupe a déposé plusieurs motions exigeant son retrait. Toutes ont échoué. L'élection approchant (elle est prévue pour le 9 juin), l'UDC remet l'ouvrage sur le métier.
Disposant de suffisamment de députés, le parti a pu imposer une session extraordinaire sur le sujet. Le National a rapidement plié le débat, classé dans une catégorie inférieure. Les règles étant différentes au Conseil des États, les discussions ont duré plus longtemps. Certains sénateurs ne se sont toutefois pas privés d'envoyer quelques piques aux conservateurs.
Un processus lancé de longue date
Carlo Sommaruga (PS/GE) a ainsi rappelé que la candidature helvétique avait déjà été débattue à maintes reprises: «Les arguments sont connus et archi-connus. Rien ne permet de les remettre en cause.»
Les travaux ont commencé depuis longtemps, a souligné quant à elle Andrea Gmür-Schönenberger (Centre/LU). Micheline Calmy-Rey, alors ministre des Affaires étrangères, avait lancé le dossier en 2011. Les opposants ont eu suffisamment de temps pour déposer une initiative à son encontre et la remporter, a relevé la Lucernoise. «Un retrait de notre candidature nous discréditerait pour toujours», a affirmé la Lucernoise.
Berne casserait son image de «juge de paix»
Son maintien nuirait à la réputation de la Suisse, et notamment à sa neutralité, a estimé au contraire Werner Salzmann (UDC/BE). «Au Conseil de sécurité, notre pays serait confronté à des situations difficiles, où il devrait prendre position sur des sanctions contre des pays, dont il représente les intérêts, ou des interventions militaires controversées, comme celle en Libye.»
Des sanctions concernant la guerre en Ukraine seront certainement débattues durant les deux prochaines années, a souligné Beat Rieder (Centre/VS). Et le Valaisan de s'inquiéter pour les conséquences sur la capacité de Berne à proposer ses bons offices.
«Quand deux pays s'affrontent, un troisième est toujours nécessaire pour jouer les intermédiaires. Un rôle pour lequel la Suisse est prédestinée», a complété Thomas Minder (Indépendant/SH). En siégeant au Conseil de sécurité, Berne casse son image de «juge de paix». Elle serait beaucoup plus efficace en restant à l'écart des conflits.
Le Schaffhousois a aussi dénoncé le système onusien, où cinq grandes puissances disposent d'un droit de veto. «Pourquoi participer à une institution dont les décisions ne sont pas applicables?»
«Pas une partie aux conflits»
«Le Conseil de sécurité de l'ONU n'est pas une partie aux conflits. Son objectif est de maintenir la paix et la sécurité dans le monde», a rappelé Céline Vara (Vert-e-s/NE). Chaque année, il adopte entre 50 et 70 résolutions, visant principalement à mettre sur pied ou à prolonger des missions de maintien de la paix.
La neutralité helvétique ne serait aucunement mise en péril, ont insisté plusieurs orateurs. L'Autriche, la Suède ou encore l'Irlande ont déjà occupé un siège au Conseil de sécurité. Oslo a par ailleurs pu jouer un rôle médiateur dans la guerre au Yémen, et Berlin s'est engagée pour une solution au conflit libyen. Les bons offices ne sont ainsi pas non plus écornés.
Évolution du concept de neutralité
Carlo Sommaruga a encore relevé que la neutralité politique n'est pas un concept figé. «La notion évolue au grès des situations politiques internes et des contextes internationaux. Elle n'empêche pas la Suisse de prendre position sur les événements mondiaux.»
Après l'annexion de la Crimée, la protection des intérêts financiers a prévalu, a analysé le Genevois: «Aujourd'hui, la neutralité politique prend aussi en compte nos valeurs, comme la paix, la démocratie et les droits humains. Nous sommes passés de la neutralité des intérêts à la neutralité de défense de nos valeurs.»
«Il faut s'attabler pour pouvoir participer»
«Être neutre n'est pas synonyme d'indifférence face à des événements tragiques», a abondé le président de la Confédération, Ignazio Cassis. Dans un monde en constante évolution, la Suisse ne peut toutefois pas résoudre seule tous les problèmes internationaux complexes. «Il est important que nous nous engagions dans les enceintes multinationales. Comme le dit un proverbe: les absents ont toujours tort. Il faut s'attabler pour pouvoir participer.»
«Une candidature est dans l'intérêt de la Suisse autant que dans celui du monde», a continué le ministre des Affaires étrangères: «État neutre à l'écoute des minorités, nous sommes toujours à la recherche de compromis. Nous avons beaucoup de compétences à mettre à disposition de la communauté internationale.»
Seule candidate avec Malte
Le Tessinois s'est encore attelé à apaiser les inquiétudes concernant les représentants suisses. Les ambassadeurs sont nommés par le Conseil fédéral et portent les décisions de Berne. «En cas de décisions difficiles, comme des sanctions ou des interventions militaires, le gouvernement décide, après avoir consulté au moins les présidents des commissions compétentes.» S'abstenir est également toujours une option.
La Suisse, qui fête cette année ses 20 ans d'adhésion à l'ONU, a toutes ses chances d'intégrer le Conseil de sécurité en 2023 pour deux ans. Elle est la seule candidate avec Malte pour les deux sièges attribués à l'Europe de l'Ouest.
(ATS)