J’ai très rapidement compris que c’était cuit pour l’aide aux médias. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille? Que des potes - qui estiment que leurs sources d’infos sont d’une importance capitale - me disent qu’ils allaient probablement refuser ce gros fourre-tout. Que des proches totalement déconcertés se tournent vers ma mère pour lui demander «comment va voter ton fils?»
Pourquoi financer des grands groupes de médias qui font des bénéfices? Pourquoi serait-ce la Confédération qui devrait soutenir la presse locale, et non les collectivités publiques régionales? Difficile de répondre de manière convaincante à ces deux oppositions souvent mises en avant pour contrer le paquet ficelé par le Conseil fédéral et le Parlement. Disons-le tout net: le train de mesures n’avait pas grand chose pour séduire une population très certainement attachée à ses titres de médias, mais désireuse de clarté et peu encline à plébisciter le saupoudrage qui finit par ne profiter à personne.
Il n’empêche: les médias ont besoin de soutien et les plus petits canards se retrouvent ce soir le bec dans l’eau. Pourquoi les médias ont-ils besoin d’être portés? On a répété mille fois la chanson. Leur modèle d’affaire imprimé s’est effondré avec la numérisation de la société et ils peinent à trouver un équilibre financier dans la nouvelle réalité digitale. Parce que la transition nécessite des moyens qu’ils n’ont plus. Et surtout parce que la manne financière des annonceurs est en grande partie captée par les géants de la tech américaine. Une catastrophe pour le petit marché qu’est la Suisse, encore plus pour ce timbre poste que représente le bassin romand.
La problématique qui se pose n’est pas très complexe. Estimons-nous, à l’instar du conseiller national Philippe Bauer, que les médias peuvent bien disparaître comme les sabotiers d’antan, ou voulons-nous préserver ce qu’on estime être un capital essentiel pour les citoyennes et citoyens de ce pays? Il y a fort à parier que la population est convaincue par la deuxième option. Or celle-ci ne sera possible qu’avec un soutien des collectivités publiques.
Certaines villes du pays l’ont bien compris. Les communes de Nyon et de Gland achètent des pages de pub au journal La Côte et celui-ci prouve chaque jour qu’ils n’est pas «aux ordres» de ces deux communes comme le serait un débiteur. Cela devrait faire taire celles et ceux qui sont farouchement opposés à toute forme de soutien public et nous rabâchent que les médias finiront le doigt sur la couture devant leur généreux donateurs. Aux cantons, désormais, de plancher sur des modèles de soutien efficaces pour préserver la pluralité d'opinions sur leur territoire.
Les opposants au paquet de mesures refusé par le peuple ont beau jeu d’affirmer que le secteur privé doit soutenir les médias. Qu’ils désignent ces investisseurs…! En Suisse romande, c’était l’objectif de la fondation Aventinus, elle-même principalement financée par la fondation Hans Wilsdorf, propriétaire de Rolex. Malgré la profondeur des poches de cette dernière, aucun média ne peut affirmer qu’Aventinus a changé son paradigme financier. Créée en octobre 2019, la fondation semble avoir davantage vu le jour pour racheter Le Temps et Heidi.news (manifestement sans grand plan d’investissement) que pour stopper l’hémorragie médiatique en terres romandes. En témoigne le dépôt de plaques du Régional en mai 2020, un titre apprécié par 102’000 lectrices et lecteurs.
Simonetta Sommaruga a dit qu’il n’y avait pas de «plan B». On espère sincèrement que c’était une ruse de fin de campagne, faute de quoi le paysage médiatique se réduira comme peau de chagrin.