Joe Biden est-il plus redoutable que Donald Trump pour l’économie européenne? Cette question, plusieurs dirigeants de ce côté-ci de l’Atlantique la posent ouvertement avant même de connaître les résultats des midterms, les élections cruciales de mi-mandat qui se déroulent ce mardi 8 novembre aux États-Unis.
Plus redoutable, pourquoi? Parce que Joe Biden et son administration démocrate utilisent à fond l’arme de la lutte contre le réchauffement climatique pour justifier des subventions massives aux entreprises américaines. «Notre industrie européenne subit déjà une forte différence de compétitivité en raison des prix de l’énergie, a averti cette semaine le ministre français des Finances Bruno Le Maire. Avec l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, la pression est de plus en plus forte. Nous devons réagir vite.»
Contre-offensive industrielle américaine
Cette volonté affichée de riposter à l’actuelle contre-offensive industrielle américaine est le résultat d’un triple constat, plusieurs fois exprimé par le commissaire européen (français) chargé du marché intérieur Thierry Breton.
Premier point: L’Inflation Reduction Act, adopté cet été pour «décarboner» l’économie américaine, va accoucher de distorsions concurrentielles majeures entre les deux rives de l’Atlantique. Adopté de justesse par le Congrès, ce grand plan climat et énergie, qui prévoit d’investir sur dix ans 300 milliards de dollars dans la réduction des déficits, 98 milliards pour la santé et 369 milliards de dollars pour la sécurité énergétique, est en réalité un robinet à subventions, la plupart du temps sous forme de crédits d’impôts.
L’Europe divisée sur le plan commercial
Deuxième point: Joe Biden et son administration, très engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la défense militaire de l’Ukraine face à la Russie, sont en train de diviser l’Europe sur le plan commercial. À titre de preuve: les commandes militaires qui affluent vers les industriels américains. Lesquels se frottent par exemple les mains après la décision de l’Allemagne, au printemps, d’acheter 35 chasseurs F35 de Lockheed Martin, comme l’a fait la Suisse en 2021.
Thierry Breton ne s’y est pas trompé dans un entretien à «Libération», même s’il marche sur des œufs vis-à-vis de Berlin: «C’est une bonne nouvelle que l’Allemagne se préoccupe désormais de ses investissements dans le domaine de la défense. Je souhaite évidemment que ces investissements massifs bénéficient aussi à l’industrie européenne plutôt qu’aux seuls Américains, mais ce choix relève de la souveraineté nationale et pas de l’Union.» Or qui dit contrats d’armement dit souvent d’autres commandes à la clef…
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Troisième écueil «Made in USA» sur lequel l’économie européenne pourrait bien se fracasser: la relocalisation des usines américaines aux États-Unis. Le processus n’est pas simple. Relocalisée en 2017 au Wisconsin sous la présidence de Donald Trump, l’usine d’écrans LCD du géant taïwanais Foxconn à Mount Pleasant (dix milliards de dollars, 13’000 emplois promis) est, cinq ans plus tard, bien loin d’atteindre les dimensions annoncées.
Mais le mouvement est pris. La décision du milliardaire Elon Musk de relocaliser la production de batteries pour ses voitures Tesla au Texas, plutôt que s’implanter en Allemagne, augure sans doute d’autres nouvelles similaires.
Le secteur stratégique des semi-conducteurs
Cette guerre commerciale annoncée préfigure des affrontements entre les États-Unis et l’Europe sur des secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs. Cinquante-deux milliards de dollars vont être investis dans l’industrie américaine des puces électroniques. Intel, mais aussi le Sud-coréen Samsung et le Taïwanais TSMC sont aux manettes, avec l’objectif officiel de s’affranchir de la dépendance envers la Chine.
Sauf que la dispersion des efforts européens, et la compétition entre les différents pays membres de l’Union européenne pour accueillir les futures usines, minent l’ambition de l’EU Chips Act adopté en février dernier. Les 43 milliards d’euros alloués à ce projet risquent d’être dispersés et moins efficaces que la manne américaine: «Ce budget est au premier abord comparable à celui du plan américain Chips Act for America de 52 milliards. Mais en l’analysant dans les détails, il s’avère moins focalisé et moins efficace que le plan américain», juge Peter Clarke, l’un des meilleurs analystes du secteur.
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Thierry Breton tire la sonnette d’alarme
Trump ou pas Trump, victoire ou pas de son parti républicain dans les urnes des midterms ce mardi 8 novembre, le fossé qui sépare le Vieux Continent de l’Amérique est de plus en plus profond: «Dès le mois d’août, j’ai tiré la sonnette d’alarme. Je vois l’impact de cet Inflation Reduction Act», a asséné le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton sur BFM TV. Ce dernier révélait au passage la création ces derniers jours d’une une task force à haut niveau entre la Maison Blanche et la Commission européenne.
«Nous avons listé neuf problèmes. Nous avons envoyé une lettre d’injonction avec des points très précis qui sont, de notre avis, contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Ou bien ils vont les régler et on l’espère, ou bien il faudra aller devant l’OMC et on envisagera alors de mesures de rétorsions. On va vraiment aller au bout», a encore ajouté le politicien.
«Joe Biden a résorbé deux irritants qui pesaient sur les relations transatlantiques avec la suspension des sanctions réciproques liées au contentieux entre Airbus et Boeing et celle des droits de douane sur les importations d’acier et aluminium venant d’Europe. Mais il reste aligné sur l’approche unilatérale de Donald Trump et accélère l’offensive contre l’essor de la puissance économique chinoise, conclut un rapport tout juste publié de l’Institut Jacques Delors. Alors que l’Amérique affiche désormais un protectionnisme assumé, le défi américain reste de parvenir à combiner cet isolement économique avec le besoin de rallier le plus grand nombre possible de partenaires dans une guerre technologique contre la Chine.»
Biden ou Trump? On l’aura compris. Dans les faits et dans les chiffres, le duel politique pour la Maison-Blanche ressemble, pour les Européens, à un toboggan vers les désillusions massives.
À lire: «Le protectionnisme assumé des Etats-Unis à l’heure des midterms 2022», Elvire Fabry, Institut Jacques Delors