«Le héros de l'Ukraine»
Comment Zelensky a gagné la bataille médiatique contre Poutine

Photos au profil héroïque, pathos sur la résistance nationale, création de mythes... Le travail de communication autour de Volodymyr Zelensky est un coup de force politique et stratégique. En face, le bien maigre soft power russe ne convainc personne en Occident.
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Zelensky superstar: la maison d'édition américaine Tidal Wave Productions va lancer une bande dessinée sur le président ukrainien.
Reza Rafi

Sur l'image, on distingue un véhicule militaire en mouvement. La caméra, tremblante, le suit. Soudain, une explosion survient et la machine est projetée dans les airs. Le tout est accompagné d'une musique dramatique et d'un titre, plein d'ironie: «Nous saluons les envahisseurs.»

La vidéo est celle d'une embuscade ukrainienne tendue à un véhicule russe. D'innombrables séquences de ce type, tournées sur le front, inondent la toile jour après jour. Certaines ont l'air d'avoir été prises par des amateurs, d'autres sont présentées de manière officielle avec l'emblème des forces armées ukrainiennes.

Comme un film de guerre

Sur Telegram, TikTok mais aussi Reddit, la guerre en Ukraine peut être suivie au jour le jour, comme un feuilleton politique ou un film de guerre. On y voit des soldats ukrainiens en mouvement et, souvent, des tirs de missiles antiaériens ou antichars qui déciment les véhicules russes. Entre-deux, des photos où les combattants posent face à la caméra, servant un pathos héroïque où se mêlent des promesses bleues et jaunes.

La campagne médiatique est efficace. Derrière ces publications, la volonté de montrer les Ukrainiens comme forts d'esprit et de corps face à l'agresseur russe, fonctionne. Dans l'opinion publique occidentale, les messages qui annoncent le succès des Ukrainiens dominent. Et ce n'est pas sur ces canaux que l'on va pouvoir efficacement s'informer sur le déroulement réel de la guerre.

Comparés aux Orcs

Le «framing» (cadrage), soit le contexte de formation de l'opinion publique, est centrale. «Slava Ukraïni», ou «Gloire à l'Ukraine», est devenu un slogan connu de tous en Occident. Même la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a terminé son discours du 4 mai par les mots «Slava Ukraïni and long live Europe» — «Gloire à l'Ukraine et vive l'Europe»!

Sur Telegram, les Russes sont parfois comparés aux Orcs du «Seigneur des anneaux», si ce n'est tout simplement comparés à des fascistes. Le mot-valise «rashiste», composé de «russe» et de «fasciste», s'impose sur certain canaux. Le message est clair: ces nouveaux «fascistes» ne se situeraient pas à Kiev ou à Berlin, mais bien à Moscou.

Depuis que les troupes de Poutine ont pris le contrôle de la ville de Marioupol, la campagne médiatique ukrainienne a repris du poil de la bête. Si les défenseurs ukrainiens ont perdu Azovstal, ils continuent de se battre sur le terrain de la guerre de l'information avec un professionnalisme remarquable. Même si rien ne sert de gagner le bataille virtuelle quand l'ennemi occupe son territoire.

Une chaîne de livraison numérique

Il n'empêche, l'organisation de la véritable machine de relations publiques ukrainienne est particulièrement bien huilée, et dépasse le stade de l'intelligence collective de quelques protagonistes.

Car les vidéos prises par des soldats sur le front ne sont pas transmises sans le feu vert des officiers. Des rues de Kiev ou de Marioupol jusqu'aux téléphones occidentaux, une véritable chaîne de livraison numérique est mise en place. Il est d'ailleurs frappant de constater que les services officiels du gouvernement ukrainiens alimentent également leurs canaux avec ces vidéos.

Les 150 discours de Zelensky

Au centre de cette machine, une figure incontournable: Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien est sur tous les fronts médiatiques, de toutes les vidéoconférences, de tous les messages. Depuis le début de la guerre, il a tenu pas moins de 150 discours, que ce soit pour son propre peuple, devant des chefs d'État étrangers ou lors d'occasions particulières.

La «Süddeutsche Zeitung» les a analysés minutieusement. Son constat: les interventions du président ukrainien sont écrites pour un destinataire précis et construites sur le plan rhétorique avec des termes à connotation positive.

Cette semaine, Zelensky s'est même invité dans le monde glamour du Festival de Cannes et a rendu hommage au rôle des long-métrages dans la lutte contre les dictatures. Si ça, ce n'est pas de la haute maîtrise marketing de son public cible...

Un contraste saisissant

Dans tous les cas, le contraste avec son ennemi, Vladimir Poutine, est saisissant. Ce dernier est souvent montré assis, son visage est bouffi et les rumeurs sur son état de santé sont légion. De son côté, Zelensky est un dynamique jeune président, montré debout dans la rue avec un gilet pare-balles, à Kiev, ou au milieu des ruines en l'honneur de la journée du 8 mai.

Alors que Poutine porte un costume, Zelensky se montre en t-shirt ou chemise kaki. Ce dernier se présente comme le dirigeant de la situation, prêt au combat, et succède à Poutine dans le rôle de l'homme fort.

Il y a quelques années encore, l'ancien agent du KGB était pourtant celui qui faisait trembler Sarkozy et amenait son chien en face d'une Angela Merkel terrorisée. Il était l'homme qui développait des stratégies sur Facebook contre les États-Unis un jour, et serrait virilement la main du président Trump celui d'après. Il n'y a encore pas si longtemps, il était celui qui tenait Emmanuel Macron en échec diplomatique, à l'autre bout d'une métaphorique table de sept mètres de long.

Le colosse aux pieds d'argile

Depuis le 24 février, jour de l'invasion russe, l'aura du soft power russe et de son président se sont effondrés. Les images de chars russes enlisés, de bateaux coulés, la liste des officiers russes tués qui s'allonge chaque semaine et les rapports sur la logistique catastrophique de son armée ont révélé que le maître du Kremlin n'était qu'un colosse aux pieds d'argile.

En conséquence, ses anciens alliés ou admirateurs se font tout petits. Donald Trump a retourné sa veste. En France, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont réussi tant bien que mal à se distancier de leurs anciennes positions, tandis que les louanges d'Éric Zemmour ont quasiment coulé sa campagne.

Sur les écrans et dans les consciences

Volodymyr Zelensky a envahi les écrans comme les consciences. Son aura ruissèle désormais en cascade sous toutes les formes possibles et imaginables. La maison d'édition américaine Tidal Wave Productions a annoncé cette semaine une bande dessinée sur le chef d'État ukrainien. Il n'existe en revanche aucun comics sur Poutine. Et si une doit être créée, il y a fort à parier que le président russe en soit l'antagoniste.

Autre info exclusive de Blick Food: plusieurs boulangeries réfléchiraient à rebaptiser leurs «tresses russes» en «tresses de paix». Quand le soft power s'immisce jusque dans les cuisines, c'est que l'on a définitivement gagné la guerre de l'information.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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