Les mots sont forts. «Merdique». «Violente». «Défigurée». Ces mots, je les ai entendus ce lundi matin après le déferlement de joie et de passion footballistique ce week-end dans Paris, suite à la victoire du PSG en finale de la Ligue des Champions contre l’Inter Milan. Ces mots parlent surtout de ce qui s’est passé sur une avenue, supposée être la plus belle du monde: les Champs-Élysées.
«Ici, c’est paradis» a titré le quotidien sportif français L’Equipe dimanche matin. Logique. La fête était au rendez-vous dans la capitale, et dans une bonne partie de la France amoureuse du ballon rond, après la victoire écrasante du Paris Saint-Germain 5 buts à zéro. Oui, cela ressemblait au paradis le long des quais, sur les bords de la Seine, dans de nombreux quartiers. Puis l’enfer a déferlé. En tout cas des images de l’enfer en provenance, notamment, des Champs-Elysées que les géants du luxe s’emploient à transformer en avenue la plus huppée d’Europe, et peut-être du monde.
Royaume du luxe
Samedi, avant le match, la plupart des enseignes de luxe justement, à commencer par celles du groupe LVMH et par l’imposant magasin Louis Vuitton, avaient anticipé. Tous s’étaient barricadés derrière des façades de planche qui, désormais, reviennent au moindre défilé ou à la moindre manifestation. Une enseigne de chaussures sportives, qui n’avait pas pris ces précautions, l’a payé très cher: pillage complet! Car les Champs-Elysées, à Paris, c’est le quitte ou double: l’image du succès et de l’argent roi d’un côté, la cible privilégiée des casseurs de l’autre!
Les Champs-Elysées avaient jadis leur chanson. Elle était douce et mélancolique, signée Joe Dassin. Ce samedi et ce dimanche, c’est sur du rap que les centaines de milliers de fans ont déferlé vers l’avenue. Car pour beaucoup, c’est là que tout se joue. Pas de joie parisienne sans explosion ici.
J’ai renoncé à m’y rendre
Dans la nuit de samedi à dimanche, j’ai pour ma part renoncé à m’y rendre. Les véhicules motorisés ne pouvaient plus accéder. La police ceinturait le quartier. Mais quelques scooters ont rapidement pris feu. Puis les charges de police ont répliqué aux commandos de casseurs. Un paradis devenu enfer qui n’est pas sans rappeler le Paris Saint-Germain et son public fétiche, composé à la fois d’une partie de la bourgeoisie parisienne, et d’un Kop d’ultras violents, doublé des supporters venus des banlieues. Le cocktail est déjà souvent explosif au Parc des Princes, ce stade que la mairie de Paris refuse toujours de céder au Qatar, l’Emirat propriétaire du PSG.
Le Qatar, justement: il symbolise ce grand écart parisien. L’argent qui coule à flots, indispensable pour tenir un grand club de foot à bout de bras. L’implantation en France, où ses citoyens et ses entreprises bénéficient d’exonérations fiscales exceptionnelles. Des liens avec le monde politique. Un soutien international aux Frères musulmans décriés et combattus à juste titre par la République française. Et le Qatar, c’est aussi les Champs-Elysées, cette avenue très fréquentée par les riches touristes du Golfe…
Une cible pour les «racailles»
Sauf que ce grand écart a transformé les Champs-Elysées en cible pour tous ceux que l’on désigne souvent en France comme «les racailles». Désormais, plus question d’accéder à l’Arc de Triomphe et à la place de l’Etoile les jours de fête ou de manifestation. Ce samedi, le monument dévasté par les gilets jaunes en décembre 2018 était ceinturé par la police. Ironie absolue: les Champs-Elysées sont aujourd’hui otages de leur succès et de leur statut de vitrine. Les Parisiens ne s’y rendent presque plus. Les cinémas ont disparu. Le bureau de poste a fermé depuis longtemps. Une énorme valise Vuitton, scandale visuel, recouvre l’immeuble LVMH en rénovation. Sacré contraste!
Normal, donc, d’y constater des déferlements de violence. Non! Ce samedi d’ailleurs, d’autres violences se sont déroulées près du Parc des Princes, ou sur le boulevard périphérique adjacent. Mais c’est sur les Champs que tout déraille toujours. Parce que la pression y est maximale et l’affluence record, comme on l’a vu dimanche pour la réception de l’équipe du PSG et sa remontée de l’avenue en bus, avant d’être reçue par Emmanuel Macron au palais présidentiel.
Les mots font mal
Les Champs-Elysées, avenue «merdique et violente»? Les mots font mal. Ils ne correspondent pas à la réalité de tous les jours. Ils ne collent pas au spectacle de fraternité donné samedi et dimanche par l’énorme majorité des supporters du PSG. Mais ils recouvrent une partie de vérité. On dit que la France est un pays fracturé, où la colère gronde. Il en va de même sur les Champs-Elysées.
«Au soleil, sous la pluie. A midi ou à minuit. Il y a tout c’que vous voulez» chantait jadis Joe Dassin. Oui, tout: le meilleur et le pire!